Parce qu’ils préfigurent les modes de vie futurs, les grands projets de réaménagement urbain ont une portée culturelle dont il importe de prendre la mesure. Ces enjeux, les acteurs culturels et les artistes réunis au sein d’ARTfactories/Autre(s)pARTs y sont quotidiennement confrontés, en inventant de nouvelles démarches artistiques et formes d’action culturelle. Leurs expérimentations suffisent-elles à en faire des acteurs à part entière des transformations urbaines ?
Contexte
Accueillie à Gare au Théâtre (Vitry-sur-Seine) le vendredi 27 janvier 2012 dans le cadre de la manifestation Frictions urbaines, cette journée der éflexion a réuni une vingtaine de membres d’Af/Ap autour d’une question posée par son directeur, Mustapha Aouar: «Comment (re)penser les enjeux culturels au cœur des enjeux de réaménagement d’un territoire de portée métropolitaine ?»
Situé au cœur de l’Opération d’intérêt national (OIN) Orly-Rungis Seine-Amont, Gare au Théâtre est directement concerné par la transformation urbaine qui s’annonce. En introduction à cette journée, Mustapha Aouar a donc rappelé ce contexte et raconté comment il s’était, d’abord personnellement, puis collectivement, impliqué dans ce processus complexe. Puis la conversation s’est poursuivie entre Magali Battaglia (232U, Aulnoye-Auymeries), Nadia Choukroun (Gare au Théâtre, Vitry-sur-Seine), Claude Renard (agissante culturelle, Marseille), Dorine Julien (Comptoir de la Victorine/Les Pas Perdus, Marseille), Marina Pardo (Cie Sîn, Montpellier), Yann Lorteau (SFT, La Belle de Mai, Marseille), Marie-Pierre Bouchaudy (Les Musiques de la boulangère, Saint-Denis), Julie Kalt( KomplexKapharnaüm, Lyon), Philippe Henry (Paris), Jean Djemad (Cie Black Blanc Beur, Trappes), Jean Hurstel (Banlieues d’Europe, Lyon), Eric Chevance (TNT-Manufacture de chaussures, Bordeaux), Bahija Kibou et Quentin Dulieu (ARTfactories/Autre(s)pARTs). En deuxième partie de journée, à l’invitation de Mustapha Aouar, ils ont été rejoints par Régis Hébette et Chloé Sécher (Actes if, Ile-de-France), Patrick Urbain (CAUE 94), François Loscheider (Codev 94), Michel Merlot (Comité consultatif de l’OIN), Louise Doutreligne et Jean-Luc Paliès (Cie Influenscènes, Fontenay-sous-Bois). Gare au Théâtre dans le processus de transformation urbaine (OIN Orly-Rungis Seine-Amont).
L’Opération d’intérêt national (OIN) Orly-Rungis Seine-Amont s’inscrit dans le cadre du Grand Paris dont le processus s’est accéléré en 2007 suite à l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Cette OIN porte sur un territoire de 71 km2 situé au sud-est de Paris, territoire lui-même divisé en plusieurs zones dont les Ardoines où se trouve Gare au Théâtre. D’ici à 2020, les 300 ha de ce site considéré comme stratégique seront profondément remodelés avec la création de logements, l’implantation d’entreprises (notamment dans le secteur des biotechnologies) et la réalisation de nouveaux réseaux de transport. Avec des moyens exceptionnels, l’opération va durablement transformer ce territoire et l’existence des personnes qui y vivent. Mustapha Aouar s’est rendu pour la première fois en 2007 au comité consultatif organisé dans le cadre de l’OIN, « à titre individuel et par curiosité». Entre 200 et 300 personnes venues de tous horizons y participaient régulièrement, mais aucun autre acteur culturel. Il raconte avoir essayé pendant plusieurs mois de comprendre comment ce comité fonctionnait, à quoi il servait, qui y avait un pouvoir de décision pour finalement se décider à prendre la parole. D’après lui, ce projet se focalisait alors sur les transports, l’emploi et le logement («métro, boulot, dodo»), sans jamais faire cas de la culture, cette « nourriture invisible dont on a tous besoin ».
Cette prise de parole lui a permis de constater par la suite que tout le monde, pourtant, avait quelque chose à dire à propos de la culture, mais rien qui ne corresponde à sa propre vision de l’art et de la culture. On l’a cependant entendu, semble-t-il, puisque peu de temps après Mustapha Aouar a pu rejoindre un groupe restreint d’acteurs locaux, récemment renommé Conseil consultatif des acteurs économiques, sociaux et culturels (nous soulignons). D’autres signes ou événements de cet ordre témoignent de la prise en considération de la culture et de Gare au Théâtre dans le projet urbain, mais le flou domine quant à l’avenir du lieu (son emplacement, son projet) et à la place que l’art et la culture occuperont réellement sur ce nouveau territoire.
Durant cette introduction, plusieurs interrogations ont été formulées. Faut-il s’investir dans ces comités dont l’organisation et les pouvoirs demeurent mystérieux et incertains? Est-ce que les acteurs culturels, face à des opérations d’une telle envergure, peuvent réellement faire valoir une vision «alternative» de l’art et de la culture? Un contre-pouvoir est-il possible? Comment s’engager collectivement dans ces instances consultatives, sans quoi la culture n’apparaîtra pas aux yeux des décideurs comme un enjeu partagé ? Dans le cadre d’un projet de réaménagement urbain, les artistes et les acteurs culturels sont-ils voués à devenir des acteurs sociaux, c’est-à-dire des acteurs exclusivement soucieux de la vie en société ? Mustapha Aouar, en tout cas, a prévenu : «Si on ne prend pas en compte le bien vivre dès aujourd’hui dans la manière dont on redessine la ville, on va devoir gérer le mal vivre dans 20 ans».
SYNTHÈSE COURTE
Projets urbains et populations
Les projets de réaménagement urbain portent des représentations de l’espace public qui ignorent souvent la complexité des enjeux culturels qui y convergent. Les moyens financiers mis en œuvre sont trop importants ou les méthodes trop grossières pour prendre en considération la diversité des personnes qui coexistent sur un territoire. On remarque pourtant, et ce dans le sillage de la politique de la ville qui a largement contribué à bousculer les habitudes et à redistribuer les rôles, la multiplication d’instances participatives associées aux projets de mutations urbaines, mais à leurs marges. Il s’agit par exemple de réunions de concertation, de comités consultatifs ou de débats publics dont l’objet est d’ouvrir le cercle de la réflexion et de la décision à l’ensemble de la population des territoires concernés. Sans rien dire de l’absence de poids juridique de ces instances qui, en réalité, ne sont que des organes de communication, au mieux des réservoirs où les responsables politiques et techniques peuvent puiser des idées, elles témoignent en revanche d’une volonté collective de nouveaux modes de gouvernance.
Démarches artistiques partagées
D’une certaine manière, ce renouvellement des modes d’action et d’organisation se retrouve au sein des démarches artistiques et des projets culturels représentés au sein d’Af/Ap. Il en va ainsi du changement de place et de rôle que les artistes occupent dans une création intégrant des non professionnels et prenant en compte les spécificités d’un territoire. Sous des formes et à des degrés divers, la relation entre ces éléments (art, populations, territoires) guide de tels projets. Observant que cette approche sensible et relationnelle fait souvent défaut dans la conduite des projets urbains, les membres d’Af/Ap ont cherché durant cette journée comment faire valoir cette vision de l’art et de la culture qui, au final, induit une manière de vivre ensemble. Entre d’un côté l’engagement citoyen et la promotion de telles valeurs au sein des instances de concertation qu’on vient d’évoquer et, de l’autre, la nécessité de se recentrer sur l’action artistique et culturelle, les avis ont divergé sur la stratégie à adopter. Dans tous les cas, les artistes et les acteurs culturels ne peuvent continuer à agir à l’écart de ces projets urbains sous peine de disparaître.
Expérimentations politiques
Croire que la manière dont on conduit une démarche artistique et celle dont se déroule un projet urbain peuvent coïncider serait une erreur. L’expression artistique, aussi partagée soit-elle, n’est pas a priori un bien commun, au contraire des enjeux collectifs recoupés dans la transformation urbaine. En revanche ,les savoir-faire mis en œuvre par les artistes pour mener à bien ces projets méritent certainement d’être valorisés et reconnus par les différents acteurs du réaménagement urbain. Car ils portent sur des problématiques de gouvernance (sans parler évidemment de leurs capacités à les traduire en un langage esthétique et sensible). Mais c’est justement là que le bât blesse, la dimension sensible étant moins facile à appréhender comme l’ont démontré la difficulté à aborder ce sujet durant l’atelier de réflexion. À moins que le sensible ne soit l’attention et la place accordée aux relations entre les personnes, que ce soit à l’échelle d’un projet artistique ou du réaménagement d’une ville.
Sébastien Gazeau
Textes rédigés à partir des propos tenus à Vitry-sur-Seine le 27 janvier 2012 lors de l’atelier intitulé «Comment (re)penser les enjeux culturels au cœur des enjeux de réaménagement d’un territoire de portée métropolitaine?»
Quentin Dulieu (Af/Ap) – Coordination des Ateliers de réflexions
Synthèse longue
La confiscation de l’espace public
Après avoir rappelé que de telles opérations urbaines cherchaient prioritairement à attirer les investisseurs et à augmenter l’attractivité d’un territoire, YannLorteau (SFT, friche La Belle de mai) a noté que les enjeux de l’aménagement urbain étaient éloignés de ceux défendus par les membres d’ARTfactories/Autre(s)pARTs (Af/Ap). Ceux-ci se réunissent en effet autour d’une vision de l’art et de la culture fondée sur des valeurs éthiques soucieuses du bien-être des populations et ils mènent des actions aux effets plus difficiles à percevoir que ne le sont la création de centaines de logements ou l’ouverture d’un complexe industriel. Leurs actions pâtissent également du fait qu’elles proviennent d’initiatives privées, lesquelles sont souvent taxées d’illégitimes par des élus prompts à revendiquer leur statut de représentants démocratiques pour emporter la décision publique. On a dénoncé un enouvelle fois cette approche qui privilégie les institutions plutôt que les citoyens et qui jugule les forces vives présentes sur un territoire.
Face à cette situation, Claude Renard n’a pas hésité à parler de «confiscation de l’espace public» au sens où la plupart des projets urbains ignorent la nécessité de penser la ville avec «des espaces de respiration», comme peuvent l’être les friches culturelles et artistiques, les projets partagés et citoyens et d’autres actions s’inscrivant dans une relation entre les personnes au sein du territoire. Ces espaces-projets porteraient au contraire des valeurs, des modes de relation et d’organisation permettant aux habitants de s’approprier l’espace public. C’est dire si la question de son réaménagement est profondément culturelle.
Valoriser les enjeux culturels
Hormis celle de Gare au Théâtre, différentes expériences ont été évoquées au cours de cette journée pour témoigner des manières de valoriser les enjeux culturels au sein des projets de transformation urbaine. Marie-Pierre Bouchaudy a expliqué comment Nicolas Frize (Les Musiques de la boulangère) essayait d’introduire la question culturelle dans la mutation en cours à Plaine Commune/Saint-Ouen autrement qu’en termes de «cluster», de «hub», «d’industrie culturelle» ou «d’économie créative». Les mots sont en effet porteurs d’idéologies et de représentations que cet artiste s’emploie à interroger, car «c’est un des rôles de l’artiste de détourner et de mettre en discussion la langue». Cette entreprise de déconstruction linguistique est un des axes de travail proposés par Nicolas Frize aux pouvoirs publics qui l’ont missionné dans le cadre du projet urbain. Ainsi légitimé, il pourra peut-être influer sur les orientations retenues. En attendant, il continue d’imaginer des espaces et des dispositifs où s’articuleraient l’art, la culture, l’urbanisme, l’économie, le social. Travailler au croisement de ces champs est essentiel pour les artistes et les acteurs culturels qui se trouvent contraints de démontrer que la question culturelle est imbriquée à l’urbain. S’ils ne le font pas, ces initiatives risquent de perdre des soutiens institutionnels obligés, en ces temps difficiles, d’arbitrer en faveur de ce qui semble le plus tangible et prometteur: le projet urbain donc plutôt que la culture.
Philippe Henry a souligné que ces opérations urbaines étaient révélatrices du changement de la place que l’art et les artistes occupent dans la société contemporaine. Complexes, vécus et portés par une grande diversité de personnes et d’intérêts, les projets qui s’écrivent aujourd’hui préfigurent la ville et la vie des gens pour les 10, 20, 30 ou 50 années à venir. Ces enjeux à la portée vertigineuse interpellent la responsabilité des artistes entant que citoyens et leur capacité à prendre part à ces mutations. Cette dialectique renouvelée entre démarches artistique, culturelle et citoyenne a été au centre de la discussion de l’atelier, et se trouve de manière générale au cœur des préoccupations portées par Af/Ap. Au-delà de l’effet que cette dialectique produit sur les pratiques artistiques elles-mêmes (privilégier le processus plutôt que la production, s’inscrire durablement sur un territoire, imaginer des démarches artistiques partagées avec des non professionnels, etc.),il s’agirait de nommer et valoriser les savoir-faire spécifiques des artistes et des acteurs culturels pour qu’ils soient reconnus en tant que partenaires à part entière du processus de transformation urbaine. Quels sont ces savoir-faire ? Selon Philippe Henry, ils se trouvent dans la capacité «à créer des micro-expériences de construction symbolique» dans lesquelles les démarches artistiques font le lien avec certaines des thématiques en œuvre dans le projet urbain en question1.
La manière dont les artistes doivent s’impliquer dans le projet urbain a néanmoins fait débat. Doit-on s’en tenir, comme le préconise Dorine Julien (Les Pas Perdus), à des actions artistiques «modestes» menées au plus près des personnes, sans trop se soucier du cadre institutionnel, où elles bénéficieront dans tous les cas de la portion congrue? Doit-on s’engager au sein de ces instances para-publiques/politiques dont parlait Mustapha Aouar dans son introduction, instances chronophages et à l’efficacité incertaine? Les options ne sont pas si tranchées. Les témoignages des uns et des autres ont montré que les acteurs culturels intervenaient en réalité à différents niveaux, nourrissant leurs démarches artistiques d’une réflexion sur la politique (culturelle) et défendant une action culturelle empreinte d’expérimentation artistique. Cette interrogation renvoie cependant à la situation des artistes et des acteurs culturels qui – mais ce n’est pas l’apanage de ce secteur (il a été question de l’état de la recherche en France) – passent presque autant de temps à justifier leur action auprès de leurs tutelles qu’à s’y atteler.
Expérimentations artistiques et principes politiques
Le terrain où il s’agit de (re)prendre place n’est donc pas uniquement d’ordre esthétique et sensible, même si c’est à l’aune de telles considérations que les artistes et les acteurs culturels doivent se démarquer. Ce terrain relève du politique. Selon Jean Hurstel (Banlieuesd’Europe), cette visée politique doit entièrement inspirer un espace-projet dès lors qu’il se réfère aux principes de la démocratie culturelle, dont le but n’est rien moins que la création d’une utopie, c’est-à-dire, étymologiquement, d’un espace qui ne se trouve dans aucun lieu. C’est un «effort» qui implique la remise en question profonde des positions habituellement occupées par les artistes professionnels (notamment à l’égard des non professionnels) et qui implique la défense de principes communs au lieu d’un seul projet personnel. Modulant cette réflexion, Jean Djemad (Cie Black Blanc Beur) a préféré le terme de «construction» en faisant référence à son travail de chorégraphe. La réunion de plusieurs danseurs autour d’un projet commun n’en garantit pas la pertinence artistique. Cette réunion nécessite la présence d’une personne ou d’un collectif pour lui donner forme et sens, si jamais l’ensemble des danseurs (par inexpérience, par choix ou par défaut) n’en était pas capable pour le moment. De son côté, Régis Hébette (Actes if) a défendu le fait que certaines démarches ne revendiquant ni ces prétentions ni ces méthodes pouvaient, malgré tout, avoir une portée politique. Ces différents points de vue montrent assez l’écueil qu’il y aurait à vouloir transposer à la lettre certains principes politiques dans le champ artistique, ou à vouloir retrouver telles quelles certaines intentions artistiques dans le domaine politique.
Les problèmes de gouvernance rencontrés dans chaque domaine n’en sont pas moins similaires comme en témoigne la notion de participation, notion largement mentionnée durant cette journée et qu’on trouve employée aussi bien dans le champ politique qu’artistique. Là encore, les avis divergent. Soit elle est perçue comme le signe positif d’une ouverture de la décision publique à la population, une avancée démocratique dans la mesure où, d’après Mustapha Aouar, les instances dites participatives que sont les comités consultatifs ont le mérite de réunir des personnes aux avis divergents et de leur permettre d’échanger à propos d’enjeux collectifs. Soit, à l’opposé,la participation apparaît comme une sorte de concession populiste qui éloigne d’une réelle prise en considération des personnes, en tant qu’êtres capables de définir et d’organiser leur propre rapport au monde.
La maîtrise d’usage
C’est dans cette perspective qu’il faut voir la substitution de l’expression «démarches artistiques partagées» à celle de «démarches artistiques participatives», ceci pour souligner la spécificité de démarches qui proposent et exigent de tous les acteurs d’un projet une implication plus active, là où la notion de participation ne modifierait pas en profondeur le rôle et la place de chacun. Revenant sur le terrain des projets urbains, Claude Renard a longuement défendu la maîtrise d’usage, un droit à conquérir pour donner aux citoyens une place autre que celle de mieux-informés que leur offrent les instances participatives habituelles (réunions de concertation, comités consultatifs, débats publics etc.). Imaginée dans le cadre de la politique de la ville pour favoriser l’engagement des citoyens dans le processus de transformation urbaine, la maîtrise d’usage est le pendant de la maîtrise d’ouvrage (réservée aux élus) et de la maîtrise d’œuvre (confiée aux architectes et aux urbanistes). Elle demande à reconnaître les usagers d’un bâtiment ou les habitants d’un quartier comme individus porteurs d’un «savoir-vivre» dans ces lieux. Elle revendique la mise en place d’outils efficaces pour influer, tout au long du processus urbain, sur sa réalisation. La maîtrise d’usage a déjà été expérimentée, notamment par l’équipe de Mix’Art Myrys lorsqu’il a été question pour elle de déménager du squat où elle était installée en centre-ville de Toulouse vers un nouvel espace mis à disposition par la mairie. L’équipe a ainsi obtenu une délégation de maîtrise d’ouvrage, c’est-à-dire le budget et le droit de l’utiliser selon ses exigences. L’équipe a recruté un architecte acceptant de travailler étroitement avec elle pour imaginer le lieu en fonction de l’usage que les membres de Mix’Art Myrys souhaitent en avoir.
Plusieurs difficultés ont été évoquées par Claude Renard durant cette présentation, relayées par quelques réactions dans l’assemblée. La maîtrise d’usage redistribue les rôles des personnes habituées à un certain fonctionnement et peut donc provoquer des réactions hostiles (de la part des architectes, par exemple, qui peuvent se sentir freinés dans leurs ambitions créatives). Les usagers d’un lieu, encore plus ceux d’un quartier, sont nombreux et divers et il importe de définir qui ils sont. Dans le cas de la construction d’une friche culturelle, Régis Hébette a ainsi noté que les usagers pouvaient être à la fois les artistes et les habitants et avoir des visions contradictoires quant à l’usage de cette friche.
La complexification de la gouvernance
La maîtrise d’usage préfigure peut-être ce à quoi la décision publique sera bientôt confrontée. L’exigence participative, la reconnaissance des diverses expressions culturelles, le décloisonnement des pratiques et des statuts tend à complexifier la gouvernance de l’espace public. Revenant sur la situation de la SCIC de La Belle de mai2, où Claude Renard cherche actuellement à expérimenter la maîtrise d’usage, Philippe Henry a noté que de nouveaux modes d’organisation nécessitaient de nouvelles règles, sous-entendant que les principes coopératifs présidant à la SCIC ne pouvaient se contenter des règles démocratiques habituelles (1 individu = 1 voix, la majorité absolue), car les notions de représentativité et de responsabilités y sont redéfinies. Fazette Bordage a évoqué diverses théories (sociocratie, organization learning) et situations où, parce que ce sont des groupes et non pas uniquement des individus qui se retrouvent sur des enjeux collectifs, «on expérimente de nouveaux processus de décision pour que ça fonctionne» (cf. Agenda 21 de la culture d’Angers). Les espaces-projets réunis ou repérés par Af/Ap sont à ce titre des laboratoires intéressants où expérimenter ces nouveaux modes d’organisation. Reste à les rendre publics, à les confronter aux expériences menées dans d’autres domaines, sans quoi, à défaut d’inventer des utopies, ces laboratoires pourraient se transformer en simples enclaves.
Sébastien Gazeau
Textes rédigés à partir des propos tenus à Vitry-sur-Seine le 27 janvier 2012 lors de l’atelier intitulé«Comment (re)penser les enjeux culturels au cœur des enjeux de réaménagement d’un territoire de portée métropolitaine?»
Quentin Dulieu (Af/Ap) – Coordination des Ateliers de réflexions
1 Voir l’analyse que Philippe Henry donne de quelques projets dans «Démarches artistiques partagées #1: des processus culturels plus démocratiques?», www.artfactories.net, décembre 2011.
2 SCIC: Société coopérative d’intérêt collectif. Ce nouveau statut de la friche La Belle de Mai modifie profondément son organisationinterne et ses relations avec ses tutelles et le territoire.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages, Articles:
FLORIDA Richard, The rise of the creative class, Basicbooks, New York, 2002. (en anglais, non traduit enfrançais)
KIRAT Thierry & TORRE André, Territoires de Conflits.Analyses des mutations de l’occupation de l’espace,L’Harmattan, 2008.
NICOLAS-LE STRAT Pascal, Expérimentations politiques, Éditions Fulenn, 2007.
PINSON Gilles, Gouverner la ville par projet. Urbanisme et gouvernance des villes européennes, Presses de Sciences Po, 2000.
VIVANT Elsa, Qu’est-ce que la ville créative?, PUF,2009.
VIVERET Patrick «Ne nous laissons pas enfermer dans des visions réductrices» in Bruno Colin & Arthur Gautier (dir.) Pour une autre économie de l’art et de la culture, Érès, 2008.
Ressources internet (au 14 février2012) :
Sur l’aménagement urbain: http://www.metropolitiques.eu
Sur la notion de maîtrise d’usage: http://www.artfactories.net/Guide-de-la-maitrise-d-usage-Mars.html
Sur la notion de sociocratie : http://www.sociocratie-france.fr
Sur la notion d’organization learning: http://www.solonline.org (en anglais)
Sur l’agenda 21 de la culture d’Angers: http://www.angers.fr/projets-et-politiques/developpement-durable/agenda-21-des-cultures-du-territoire-d-angers/les-rencontres-agenda-21-de-la-culture/index.html
ANDRES Lauren, «Les usages temporaires des friches urbaines, enjeux pour l’aménagement», mai 2011. http://www.metropolitiques.eu/Les-usages-temporaires-des-friches.html
HENRY Philippe, «Démarches artistiques partagées#1: des processus culturels plus démocratiques?»,décembre 2011. http://www.artfactories.net/Philippe-HENRY-Demarches,1688.html
FUZESSERY Stéphane & LION Yves, « Quel avenir pour le projet urbain ? », juillet 2011. http://www.metropolitiques.eu/Quel-avenir-pour-le-projet-urbain.html
NICOLAS-LE STRAT Pascal, «Micropolitique des usages», octobre 2008. http://www.le-commun.fr/index.php?page=micropolitiques-des-usages