Mardi 8 octobre 2019, les équipes et les artistes de Mains d’Œuvres ont été expulsés au petit matin par la police, sur ordonnance du maire et l’accord de la Préfecture.
Le premier septembre 2000, nous étions quelques-uns, quelques-unes à nous réunir dans la salle Star Trek, à Mains d’Œuvres. Il y avait là Fazette Bordage, l’une des fondatrices des lieux, ainsi que Chantal Lamarre, Philippe Foulquié, Jean Hurstel, Philippe Henry, Erik Noulette, Olivier Couder, Nicolas Roméas, Christian Bénédetti, peut-être une ou deux autres personnes. Nous nous retrouvions suite au rassemblement de soutien à José Bové qui avait eu lieu à Millau moins de deux mois auparavant.
À Millau, Nicolas Roméas avait écrit une tribune co-signée par de nombreuses personnalités ainsi que nous-mêmes, acteurs culturels agissant essentiellement dans des friches et des lieux non institutionnels. Cette tribune, publiée dans Libération, s’intitulait Que vive l’art et débutait ainsi : «Les formes artistiques qui correspondent à notre temps s’inventent de moins en moins dans les lieux qui leur sont traditionnellement consacrés et qui induisent souvent un rapport de production-consommation. Elles s’inventent ailleurs. » Et les derniers mots étaient : « Nous proposons de fonder un groupe de réflexion et d’action autour des pratiques artistiques en lien avec les populations dont les premiers partenaires — non les tutelles — doivent être les collectivités publiques et au premier rang d’entre elles, l’État. »
Voilà ce que nous étions venus faire ce jour là à Mains d’Œuvres : créer ce « groupe de réflexion et d’action », sous la forme d’une association que nous avons appelée Autre(s)pARTs, un nom proposé par Chantal Lamarre. L’objet de l’association tel qu’il figure dans le premier alinéa de l’article 2 des statuts était : « favoriser la mise en œuvre d’un centre commun de réflexion, de recherche et d’action pour la valorisation des projets et des lieux qui organisent leurs pratiques et expérimentations autour de nouvelles et autres relations entre arts, territoires et populations. »
L’association a évolué, connu des crises et des ruptures, a accueilli de nouveaux adhérents, elle a fait partie du groupe d’appui de Fabrice Lextrait pour l’élaboration de son rapport rendu en 2001 à Michel Duffour, secrétaire d’État à la décentralisation culturelle et au patrimoine, puis en 2017, a fusionné avec Artfactories et est devenu un acteur majeur des Nouveaux Territoires de l’Art. Elle existe toujours sous le nom Artfactories Autresparts et est, outre ses activités propres, un membre particulièrement actif de la Coordination Nationale des Lieux Intermédiaires et Indépendants.
Durant ses 10 premières années d’existence, le siège social d’Autre(s)pARTs était situé au 18, rue Etienne Dolet à Saint-Ouen, c’est à dire dans les locaux de Mains d’Œuvres. C’est là que nous nous retrouvions régulièrement, d’abord pour mieux faire connaissance entre nous, mais aussi pour échanger des informations, apprendre les uns des autres et réfléchir à notre structuration collective, à l’économie et la gouvernance de nos lieux et au combat politique à mener, combat d’autant plus nécessaire que la dynamique lancée par Michel Duffour s’était brutalement brisée sur l’échec de la gauche aux élections présidentielle de 2002.
Nous avions parfois bien froid, dans ces locaux, il fallait se lever tôt pour prendre le train depuis les 4 coins de la France, rien n’était facile, mais nous trouvions là de quoi nourrir notre pensée et alimenter nos projets. Et nous soutenir mutuellement, échanger sur nos réussites et nos difficultés. Pour moi, ce furent des années fondatrices, le TNT n’aurait jamais été ce qu’il a été sans la richesse et la générosité de ces rencontres.
Tout ceci a débuté à Mains d’Œuvres. Comme de nombreuses autres choses qui sont nées et se sont développées à Mains d’Œuvres. Ce matin, Mains d’Œuvres a été expulsé sans ménagement de ses locaux par la Ville de Saint-Ouen. On ne dénoncera jamais assez le manque de discernement de certains élus, les erreurs et les choix néfastes, l’entêtement qui est le leur malgré les nombreuses preuves de la nécessité absolue de lieux comme celui-ci.
Mains d’Œuvres est une part de notre histoire et c’est cette histoire qu’on met aujourd’hui à la rue. À l’ensemble de l’équipe, tout mon soutien et toute ma sympathie.
Eric Chevance, membre fondateur d’Artfactories/autresparts et ancien directeur du TNT, à Bordeaux