La transmission (#1)

Le 17e atelier de réflexion organisé par ARTfactories / Autre(s)pARTs s’est tenu le 6 juin 2014 aux Ateliers du Vent à Rennes. La transmission concerne n’importe qui à n’importe quel moment de son parcours. Rapportée aux lieux intermédiaires et indépendants dont il a été question durant cet atelier, la notion de transmission a logiquement été élargie à des enjeux collectifs qui relèvent pour la plupart du domaine public.

Quelles sont nos ruines ?

Les Ateliers du Vent présentaient au même moment la 3e étape du projet international Quelles sont nos ruines ?

Sous la forme d’une exposition réunissant les créations d’une quinzaine d’artistes russes, moldaves et français, Quelles sont nos ruines ? anticipait à sa manière les discussions du 6 juin. La veille au soir, Alain Hélou, directeur artistique des Ateliers du Vent et commissaire du projet, en proposait la visite et ouvrait, indirectement, quelques pistes de réflexion pour le lendemain.

Visite de l’exposition Quelles sont nos ruines ?

Entre les trois villes d’accueil de ce projet artistique (Moscou, Chisinau et Rennes), le visiteur cherchait et trouvait des correspondances, abordait l’Histoire et les fantasmes qu’elle éveille, ressentait le temps qui passe et Ce qu’il en reste (titre d’une frise de papier présentée par Sébastien Thomazo). En parcourant cette exposition, le visiteur se confrontait également aux contraintes de la réalité et aux limites de l’idéal, découvrait des manières d’échanger et de collaborer entre personnes (de cultures) différentes. Pour, à la fin, rejoindre ce qu’écrivait Alain Hélou dans Ici. Maintenant, journal publié pour l’occasion : « Ce qui est important n’est pas la question des ruines en général mais de nos ruines à nous, c’est-à-dire de ce qui fait du commun. »

À quelques mois de la fermeture des Ateliers du Vent pour travaux, période de transition dont les membres fondateurs vont profiter pour passer la main, ce qui fait commun aura été la question centrale de cet atelier de réflexion.

Les Ateliers du Vent, à Rennes, 6 juin 2014

QUELQUES DÉFINITIONS POSSIBLES DE LA TRANSMISSION

À l’invitation des Ateliers du Vent, Marie-Pierre Bouchaudy a ouvert la journée du 6 juin par une mise en perspective approfondie de la notion de transmission considérée à travers le prisme du secteur culturel.

Au sein des institutions culturelles (CDN, scènes nationales, etc.), la transmission se réduit à la nomination d’un(e) directeur(rice) pour remplacer le(a) précédent(e). Ce qui est une manière d’esquiver cette question complexe et les enjeux qu’elle comporte. Vue ainsi, la transmission se limite à une succession, laquelle véhicule des notions de disparition, de propriété d’un patrimoine ou d’obtention d’un pouvoir. La notion de transmission possède au contraire une polysémie plus intéressante. Elle relève du droit, de la mécanique, de la radio, de l’informatique, du monde de l’entreprise, de la médecine, des savoirs enfin, dont la définition citée par Marie-Pierre Bouchaudy pointait quelques problématiques essentielles : « Opération par laquelle la connaissance dont disposent certains individus relevant d’un groupe social donné est partagé avec d’autres intégrant ce groupe, notamment pour permettre l’apprentissage, le développement, la retraite des premiers ou la diminution de leur activité. »

La transmission concerne des situations très variées. Elle s’applique à un lieu privé ou public, renvoie à la responsabilité d’une personne ou d’un groupe lorsqu’un lieu est tenu par un collectif, porte sur un projet artistique et/ou culturel dont les implications excèdent le lieu lui-même (un quartier, une ville, des habitants). Enfin, elle touche à une philosophie et à des valeurs qui peuvent se traduire sous la forme de compétences et d’expertises singulières.

La transmission peut se réaliser à tout moment dans l’histoire d’un lieu ou d’un projet. Elle se pose souvent en période de crise et dans l’urgence alors qu’elle devrait être pensée dès l’origine et tout au long d’une aventure collective. Cependant, il arrive parfois de manière surprenante que cette transmission s’effectue sans être formalisée, à l’image de ce qui s’est passé dans les squats parisiens au cours des années 1990 ou à L’Élaboratoire de Rennes dont il sera souvent question durant cette journée.

Ce qui fait commun dans ces espaces-projets peut donc passer involontairement ou inconsciemment via les murs d’un bâtiment, entre les personnes d’une équipe voire par le biais de la population d’un quartier qui en relaie les actions. Ce qui fait que chaque espace-projet, au final, n’appartient pas uniquement à celles et ceux qui y sont directement impliqués. Il relève aussi de la collectivité et de l’espace public.

Marie-Pierre Bouchaudy a occupé différentes fonctions au sein de collectivités territoriales puis du ministère de la Culture, notamment au cabinet de Michel Duffour, secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation entre 2000 et 2002. Elle a été directrice de la culture à la région Bretagne entre 2004 et 2010. Elle est actuellement chef de projet chez les Musiques de la Boulangère-Nicolas Frize.

Comment faire en sorte que ce commun existe ?

Il importe tout d’abord de penser à produire des traces (livres, blog, analyses, rencontres, etc.) du travail mené. Cet effort doit favoriser l’élaboration d’une mémoire collective à laquelle les parties prenantes d’un espace-projet puissent se référer, mais aussi toute autre personne. Ces traces serviront également à faire retour/miroir et à renforcer la conscience que l’équipe a de son propre travail et du projet qu’elle développe. Listant quelques « effets de transmission » possibles, Marie-Pierre Bouchaudy a évoqué la création, après le travail mené par Christophe Piret dans le quartier de la Courrouze à Rennes, d’une association d’habitants œuvrant en faveur de la culture dans ce quartier.

Il importe de réfléchir aux modalités de production de ces traces. De nombreuses études, universitaires ou non, existent sur ces lieux et ce qu’ils font. Mais elles sont peu utilisées dans le but décrit ci-dessus. Peut-être parce que les équipes de ces lieux ne sont pas suffisamment associées à ces travaux et ne parviennent pas à se les approprier…

Enfin, il importe de veiller aux modes d’organisation interne de ces lieux, lesquels déterminent le degré d’appropriation et d’implication du projet, de la philosophie et de l’action du lieu en question. La trop forte incarnation d’un lieu en la personne de son/sa directeur/trice– une tendance couramment observée — diminue la possibilité d’une expression et d’une portée collective. S’appuyant sur son expérience des institutions (elle fut notamment conseillère technique chargée de la coopération territoriale et des pratiques culturelles au sein du cabinet de Michel Duffour, secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle entre 2000 et 2002), Marie-Pierre Bouchaudy a ajouté que les administrations publiques étaient particulièrement défaillantes dans ce domaine dans la mesure où aucun travail de mémoire, de changements de personnes en changements de gouvernants, n’y est véritablement effectué.

Pour terminer cette introduction, Marie-Pierre Bouchaudy s’est interrogé sur la manière dont « les personnes qui partent » pouvaient transmettre leur expérience à « celles qui restent », sans entraver ces dernières dans leur propre expérience. Cette démarche nécessite certainement des méthodes et un accompagnement, sans lesquelles on risque de perdre une mémoire profitable à tous.

Synthèse réalisée par Sébastien Gazeau pour ARTfactories/Autre(s)pARTs

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