Fabriques artistiques, lieux intermédiaires, espaces-projets, créations partagées… qui y a-t-il de commun entre ces expériences singulières menées en Languedoc-Roussillon ? Le 12 novembre 2013, à la Friche de Mimi, ARTfactories/Autre(s)pARTs encadrait un atelier de réflexion sur le sujet.

Tiré des performances présentées durant la matinée, le quatrième et dernier terme retenu par les architextes était “commun”. Une quinzaine de personnes en ont débattu dans le cadre de l’atelier n°4.

Pour en savoir plus sur les enjeux et les contraintes de cette journée, voir part.1

// Atelier n°4 //

Quoi de commun ?

Échanger à propos du terme « commun » revenait à débattre du sens de cette journée dont l’ambition était de réunir différents acteurs de la région Languedoc-Roussillon pour voir ce qu’ils avaient en commun et si, par-delà leurs singularités, ils œuvraient pour le bien commun.

Commun. Ce mot contient de nombreuses connotations. Il s’apparente au banal et peut être à ce titre perçu de manière péjorative. C’est l’ordinaire, l’anecdotique, ce qui est sans intérêt. Pour certain(e)s au contraire, le banal est une notion très positive comme en témoignent quelques références données durant la discussion (les fours banaux, les terrains communaux, autrement dit des endroits où toute une population peut se retrouver et partager quelque chose). Si le mot « commun » sonne mal aux oreilles de quelques-uns, c’est en raison de son ambivalence et du fait qu’il peut véhiculer l’idée d’une certaine passivité. À la différence de « mutualisation » qui serait plus du côté de l’action, du partage, de l’entente, « commun » ne rendrait pas suffisamment compte de ces notions dont tous les participants à cet atelier voulaient débattre. Autre précision : avant de parler de commun, il faut dire de quelle diversité il est constitué. De nombreuses personnes ont insisté sur ce point car sans cette étape préalable, il est toujours possible de réduire les différences au plus petit “dénominateur commun”…

Démarche personnelle et visée collective

Au lieu de chercher l’identique entre eux, les participants étaient donc favorables à nommer en premier leurs singularités en vue de les mettre en commun dans un second temps. Le commun ne doit pas dissoudre les différences, il doit les combiner de telle manière que l’ensemble en profite. Il sous-entend donc une démarche personnelle et une visée collective. C’est peut-être même dans la conscience de cette articulation que se situe le premier point commun entre tous les lieux représentés durant cette journée, des lieux faits d’individus conscients d’appartenir à une ou plusieurs communautés.

Qu’est-ce qui pousse ces acteurs (compagnies, artistes, intellectuels, opérateurs culturels, habitants, etc.) à se réunir au sein d’espaces-projets Tout d’abord, un manque de lieux de travail et plus généralement d’espaces à imaginer, fabriquer et organiser collectivement au-delà d’un objectif de production de créations artistiques. Ces espaces-projets sont à la fois des espaces de travail et des espaces de vie où l’inconnu peut advenir et influencer le travail. C’est un deuxième point commun aux lieux représentés durant cet atelier : l’inconnu y est non seulement bienvenu mais a priori intégrable au processus de création. Comme le rappelait Marjolaine Combes, responsable de L’Atteline à Villeneuve les Maguelone, il en va de même des projets artistiques développés à l’échelle d’un territoire. Leur intention est également de créer une communauté éphémère où « chacun vient avec ses manques et augmente la réalité des autres ». Autant dire que ces démarches ne sont pas modélisables, ni leurs résultats prévisibles puisqu’ils se fondent et dépendent des personnes qui les font vivre. Elles ont néanmoins en commun de faire attention aux personnes et à leurs singularités.

Les conditions d’une pratique politique

Indépendamment des valeurs humanistes qui les inspirent, ces lieux de fabrique (du commun) prennent des formes très diverses. Ce sont par exemple les débats publics initiés par l’association Les 4 chemins dans deux bars de la Paillade à Montpellier, agoras éphémères où l’on discute de sujets qui n’ont rien à voir avec les faits divers auxquels la presse locale résume trop souvent le quartier. Comme le dit Sofiane, leur démarche consiste à « proposer un contenant aux gens qui ont des choses à dire, des experts parce qu’ils ont une expérience… »

De façon évidente dans le cas des 4 chemins, peut-être moins clairement dans d’autres situations, ces pratiques collectives sont profondément politiques. Toutes interrogent, dans des proportions variées, ce qui fait commun entre des personnes et les formes dont elles disposent pour que leur communauté existe, s’exprime et soit reconnue en tant que telle. C’est dans ce sens qu’il faut entendre la revendication portée par les lieux représentés durant cette journée, ensemble de communautés partageant, au sein de la filière culturelle, la même difficulté à être reconnues pour leurs manières de faire.

À l’intérieur de chaque lieu, artistes et compagnies cherchent à se reconnaître mutuellement et à partager des pratiques qui diffèrent de celles rencontrées dans les institutions culturelles.

Mais à l’échelle de chaque espace-projet, ce sont bien de nouvelles manières de faire culture (société) que l’on tente d’inventer.

C’est en tout cas cette ambition que la plupart d’entre eux défendent, ambition qui en passe par un discours (« il ne faut pas s’empêcher de se réapproprier certains mots, comme art ou artistique » insistait Éric Chevance) et par des actions (Sébastien Berger, association Du moulin à Avèze dans les Cévennes, expliquait de son côté qu’il importait de pouvoir partager des outils administratifs pour permettre à chaque lieu d’affiner ses modes opératoires).

Comme le soulignait Dorine Julien des Pas Perdus (Marseille), ces manières de faire alternatives butent sur des règles éphémères qui demandent perpétuellement à être renégociées. Se plaindre qu’elles sont caduques est insuffisant et il revient à chaque espace-projet et à chaque personne de s’engager pour que changent les règles et les représentations instituées. Il en va de la reconnaissance de ces pratiques différentes, de ces voix dissonantes, de ces lieux intermédiaires qui, littéralement, troublent l’espace public.

Synthèse réalisée par Sébastien Gazeau pour ARTfactories/Autre(s)pARTs

POUR EN SAVOIR PLUS

> Actes if, Réflexion et propositions pour une politique publique en direction des “fabriques”, 2011.

> Gazeau Sébastien, Kahn Frédéric, In vivo. Lieux d’expérimentation du spectacle vivant, Éditions La Passe du vent, 2013.

> Gazeau Sébastien, “L’évaluation des espaces-projets artistiques et culturels”, synthèse de l’atelier #8, ARTfactories, janvier 2011.

> Henry Philippe, Un nouveau référentiel pour la culture ? Pour une économie coopérative de la diversité culturelle, Éditions de l’Attribut, 2014.

> Henry Philippe, “Quel devenir pour les friches culturelles en France ? D’une conception culturelle des pratiques artistiques à des centres artistiques territorialisés”, ARTfactories, 2010.

> Kahn Frédéric, “Les espaces-projets face aux problématiques de labellisation”, synthèse de l’atelier de réflexion #9, Artfactories, avril 2011.

> Lextrait Fabrice, Bilan et perspectives des nouveaux territoires de l’art en Midi-Pyrénées, DRAC Midi-Pyrénées, 2012.

> Lextrait Fabrice, Nouveaux territoires de l’art, Ministère de la culture et de la communication, 2001.

> Nicolas-Le Strat Pascal, Le travail du commun (en cours d’écriture, articles préparatoires sur le blog personnel).

> Nicolas-Le Strat Pascal, Moments de l’expérimentation, Fulenn, 2009.

> Vercauteren David, Muller Thierry, Crabbe Olivier, Micropolitiques des groupes. Pour une écologie des pratiques collectives, Les Prairies ordinaires, 2011.

> Revue Culture & musées n°4, Friches, squats et autres lieux, Actes sud, 2005.

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