En ces temps de pandémie, les lieux de culture sont fermés. À la fois lieux de vie, lieux de rencontre, lieux de formation de nos imaginaires, lieux d’élaboration de nos rêves, de partage de nos désirs et de transformation de nos représentations, ces lieux jouent un rôle essentiel dans la vie sociale et la vie morale de nos concitoyens. Les fermer porte une atteinte inédite aux droits culturels d’une société toute entière. Voilà donc une situation exceptionnelle et qui ne doit durer que le plus court moment possible.

Deux perspectives se dessinent : soit l’interdit que les contraintes sanitaires font peser sur la vie publique autorise les collectivités à se soulager de leur difficulté à faire politique en matière de démocratie culturelle, et dès lors elles s’autorisent, sous couvert de crise économique et de restrictions budgétaires, à abandonner les lieux et les initiatives citoyennes qui s’en préoccupent ; soit nous nous emparons collectivement de cette situation exceptionnelle qui aggrave les inégalités de traitement entre les acteurs du secteur culturel, rendant visible les contradictions internes des politiques publiques qui les produisent, et nous saisissons de l’occasion pour réinventer nos pratiques politiques, sociales et culturelles, à la hauteur de l’appétit de justice et de démocratie dont témoigne le mouvement récent d’occupation des théâtres qui se répand dans le pays.

Toulouse pourrait bien constituer un précédent en la matière. La friche culturelle Mix’Art Myrys y traverse depuis deux mois des péripéties dont l’issue nous concerne tou.te.s.

Mix’Art Myrys, une tentative de liquidation ?

Mix’Art Myrys est un lieu intermédiaire et indépendant.

Issus de la désindustrialisation des grands centres urbains dans les années 80, les lieux intermédiaires sont les premiers-nés d’une grande famille. L’art défriche, on le sait. Tiers-lieux, fablabs, jardins partagés, hackerspaces, AMAPs, recycleries, fabriques artistiques, ZADs, architecture relationnelle ou participative : autant de nouveaux usages qui, de la transition écologique à l’innovation technique et à la démocratie culturelle, accompagnent en commun(S) les transformations requises par l’époque.

Mix’Art Myrys est un collectif d’artistes autogéré qui occupe des lieux à des fins artistiques et culturelles depuis 26 ans.

Mix’Art Myrys est un élément du patrimoine matériel et immatériel de la Ville de Toulouse. Mix’Art Myrys est un équipement culturel reconnu d’intérêt métropolitain. Mix’Art Myrys est un bien commun dont la portée dépasse le territoire toulousain. Déjà cité au début des années 2000 dans le rapport Lextrait, parmi les « Nouveaux territoires de l’art », ce collectif a inspiré nombre d’aventures, en France comme à l’étranger et joue aujourd’hui un rôle structurant à l’échelle nationale en tant que membre actif du centre de ressources Artfactories/autresparts. La Coordination Nationale des Lieux Intermédiaires et Indépendants (cnlii.org) devait cette année y tenir son 4è forum.

Mix’Art Myrys est une ressource essentielle, un lieu-ressource pour les artistes, les acteurs culturels et les habitants de la métropole toulousaine, ce que démontre la mobilisation de plusieurs milliers de personnes dans les rues de Toulouse, lors des manifestations de soutien organisées le 24 janvier et le 6 mars dernier.

Pourtant, depuis le 20 janvier 2021, Mix’Art Myrys est sous le coup d’une fermeture administrative, pour non-respect des normes d’accueil public, doublée d’un débranchement de ses subventions Ville et Métropole.

Ainsi, après Mains d’Œuvres à Saint-Ouen l’année dernière, puis plus récemment le Dispel à Grenoble, le cinéma La Clef à Paris et le théâtre Expression 7 à Limoges, voici que la friche culturelle Mix’Art Myrys est menacée de disparaître, par la volonté unilatérale de son propriétaire et partenaire principal, Toulouse Métropole.

Faudrait-il qu’au moment où on célèbre tout ce que nos lieux défrichent, il faille en même temps se débarrasser d’eux ?

Quelle est cette politique qui marche à l’envers ? Comment se peut-il qu’au lieu d’aider un lieu inspirateur et pionnier sur son territoire, la métropole de Toulouse profite de la situation pour tenter de le faire disparaître ?

Ce sont 60 artistes visuels, numériques, sonores, hybrides, 30 cies de spectacle vivant, 10 groupes de musique, soit près de 300 artistes par an qui se retrouvent privés d’espaces de création, de recherche et d’échanges. Au delà du secteur culturel, c’est tout un tissu économique et social qui se trouve mis en péril. 10 associations, leurs salariés, leurs adhérent-e-s ; plus de 220 familles et cinq producteurs, dans leurs relations à une autre alimentation. C’est le Tétaneutral, 1er fournisseur d’accès internet associatif au niveau national avec ses 5000 adhérents qui est remis en cause dans ses missions. Ce sont trois producteurs locaux de jus de fruit bio, sodas et bières artisanales qui sont économiquement déstabilisés. Ce sont 25 000 habitant-e-s par an qui seront privés des événements singuliers que propose Mix’Art Myrys.

Où est l’intérêt général dans cette décision qui met à la porte artistes, associations, usagers, voisin.e.s, amapien.ne.s ? qui met en péril autant d’emplois ? autant de services rendus à la population ? autant d’évènements ?

Que penser de cette décision abrupte et du débranchement des subventions qui la précède discrètement, sinon que la Métropole a scénarisé cette fermeture ?

Comme si l’occasion était trop belle !

Prendre ou administrer le soin ?

Plutôt que d’ajouter au mal de circonstance, n’aurait-il pas plutôt fallu prendre soin de Mix’Art Myrys, dans le souci de préserver la précieuse ressource que ce lieu et les acteurs qui le portent constituent sur le territoire, tant du point de vue culturel que social et urbain  ? En prendre soin, comme il faut prendre soin de chacun d’entre nous, et surtout des plus vulnérables, en ces temps de pandémie où chacun est amené à des efforts exceptionnels, temps de tourmente que seuls l’intelligence collective et le souci du bien commun nous permettront de surmonter  ?

Prendre soin, qui est le mot d’ordre de nos édiles, est ce vraiment cela ? Quel est ce soin étrange dont procède la fermeture administrative d’un lieu au nom du risque qu’il fait encourir au public qu’il accueille, au moment-même où cet accueil est interdit par la situation sanitaire ?

Pas assez que nos lieux soient clos et nos caisses soient vides ! Pas assez de nos paroles tues ! Pas assez de ce silence où chanter et rire est devenu suspect. Il faut encore y mettre un double tour de déni poli.

Cette urgence à administrer le soin, qui trouve son support légitime dans la situation pandémique où le mot d’ordre qui circule : “prenez soin de vous”, recouvre une menace implicite : “ou nous le ferons pour vous”, se réalise ici dans une forme de redoublement de la punition caractéristique de l’époque : non solum, sed etiam. Non seulement vous souffrirez de la peste, mais encore du remède…

Double peine, donc : après avoir vécu le mépris de devoir travailler à l’intérêt général en convention avec la Ville, la Métropole, le département, la Région, la DRAC pendant des années dans des conditions indignes, au su pourtant des autorités publiques, voici le mépris de se voir priver de son outil de travail au nom des conditions-mêmes qu’on vous a imposées. Qui aime bien, châtie bien !

Ce soin étrange qui redouble l’action d’administrer a un nom : c’est l’arbitraire.

Il est tant que cesse la maltraitance institutionnelle dont souffrent depuis plus de trente ans les lieux intermédiaires.

Les personnes qui s’y rassemblent œuvrent à réaliser un droit : le droit pour chacun.e d’accéder à la vie culturelle. Ils portent dans leurs corps et défrichent à travers leurs pratiques la démocratie réelle en matière de culture. C’est d’ailleurs au titre des droits dits culturels que le législateur a fait dans la « Loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine », article 3.14, une obligation aux collectivités territoriales comme à l’Etat de « contribuer au développement et au soutien des initiatives portées par le secteur associatif, les lieux intermédiaires et indépendants, les acteurs de la diversité culturelle et de l’égalité des territoires ».

Ce soutien, on en cherche vainement la trace en temps de pandémie. Au contraire, parmi les lieux intermédiaires, l’inquiétude grandit de ne pouvoir se remettre de la crise. En tant que lieux de culture, leur situation, même en temps ordinaire, est précaire : pris dans des rapports au foncier difficiles, des équilibres économiques fragiles, c’est par l’ingéniosité, la persévérance et l’engagement de celles et ceux qui les portent qu’ils perdurent dans le temps. Pour ces lieux, l’ouverture, c’est le nerf de la guerre, tant par l’économie qu’elle génère que par l’entretien qu’elle permet des relations entre les personnes qui les habitent – artistes, habitants, activistes, acteurs culturels…

Mais face à la fragilité économique produite par la fermeture temporaire des lieux culturels pour raisons sanitaires, ce n’est pas de la bienveillance que la puissance publique manifeste à l’égard des acteurs d’une culture en commun(S) ; dans cette série grandissante de lieux menacés, c’est à l’inverse sa négligence qui se révèle. Dans un effet d’aubaine, ce sont les menaces de fermeture et d’expulsion, ce sont les abandons et les reniements. C’est le redoublement de la peine.

Cette situation est à rebours de l’esprit de la loi, de l’intérêt général et de l’évolution des politiques publiques. Elle contredit notamment : la Loi LCAP, la loi NOTRe, la volonté de l’Etat en matière de soutien aux tiers-lieux que concrétise le programme « Nouveaux lieux, Nouveaux liens » porté par l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires et les missions que l’association France-Tiers-Lieux a reçues du Conseil National des Tiers-Lieux, la volonté du Ministère de la Culture enfin, manifeste dans la création d’une nouvelle Délégation interministérielle à la transmission et à la démocratie culturelle.

Mix’Art Myrys ou la Culture démunie

La fermeture de Mix’Art Myrys, c’est l’allégorie de ce que nous faisons à la culture. Car il en va de Mix’Art Myrys en l’espèce comme de la culture en général : c’est au moment où nous en avions le plus besoin qu’a été prise la décision de nous en priver. Et par effet retour, c’est maintenant qu’elle nous manque qu’on en comprend le caractère essentiel.

Ainsi, la fermeture de Mix’Art Myrys illustre-t-elle de manière exemplaire la situation paradoxale à laquelle nous sommes rendus, s’agissant du caractère essentiel de la culture en tant que bien commun. Car le commun, c’est quand on se trouve démuni qu’on en éprouve la nécessité.

Ainsi illustre-t-elle l’impasse dans laquelle nous enferme la fausse alternative entre gestion privée et gestion publique du bien commun.

Entre intérêts privés et intérêt général, il faudra bien accepter de construire une troisième voie : celle de la composition d’intérêts en commun(S). A cette fin, il faudra reconnaître et garantir la maîtrise d’usage des citoyens sur les biens et services nécessaires à l’exercice des droits fondamentaux de chacun.e. Il faudra reconnaître et soutenir la gestion de ces biens en commun(S).

Un premier pas essentiel dans une telle perspective consisterait à s’accorder avec la puissance publique et les collectivités territoriales afin de distinguer entre une gestion privée et une gestion en commun des biens et services, et ainsi constituer deux listes : la liste des biens et services publics qu’il serait possible de déléguer à une gestion privée, et celles des biens et services publics qu’il serait possible de confier aux citoyens pour une gestion en commun(S). A cette fin, il faudra élaborer un cadre de politique publique pour et par les communs.

Dans l’ensemble des droits fondamentaux dont il s’agit ainsi de garantir par l’usage l’exercice citoyen, l’accès à l’offre et aux pratiques culturelles n’est qu’un point. L’accès aux soins, aux médicaments, l’accès au logement, à l’alimentation, l’accès au savoir en sont quelques autres. Il n’est que de les mentionner pour mesurer combien la situation collective est problématique à tout égard. Crise du/des commun(S), donc, que la crise sanitaire a révélée, mais qu’elle n’a pas inventée.

Pour les communs, le moment est critique, mais la crise peut être salvatrice. Soit nous en sortons par le bas, dans une catastrophe sociale, écologique et politique majeure, par la reconduction du mixe d’agir public/privé qui nous gouverne. Soit nous saisissons le moment pour reprendre à nouveau frais le travail du commun nécessaire à toute forme de société humaine.

C’est pourquoi nous, Artfactories/autresparts, nous, Coordination Nationale des lieux Intermédiaires et Indépendants, nous, organisations professionnelles du secteur ESS & Culture, nous, réseaux de tiers-lieux, de fablabs, de lieux intermédiaires, nous, acteurs des communs :

1) Rejoignons par la présente l’Appel à l’En Commun lancé par Mix’Art Myrys le 6 mars 2021 et accessible dans son intégralité ici : https://vive.mixart-myrys.org/appel-en-commun/

« L’En Commun c’est
Répondre au besoin démocratique qui secoue la société.
Prendre soin du lien indissociable entre les ressources et les usages.
Reconsidérer les biens communs comme appartenant à tous et à toutes.
Repenser la société pour que tous et toutes puissent en prendre la responsabilité.
Combattre l’anomie culturelle et refaire société en engageant chacun.e dans le processus » ;

2) Lançons un appel solennel à la Métropole de Toulouse : en ces temps de pandémie, il est d’autres urgences que celle de fermer des lieux culturels. Moratoire sur la fermeture de Mix’Art Myrys, le temps de trouver une solution concertée. Il en va de l’intérêt général !

3) Lançons un appel aux collectivités et à la puissance publique : décrétons un moratoire sur les expulsions en cours ! La réouverture des lieux de culture doit être la réouverture de tous les lieux. Il ne peut y avoir de laissés pour compte dans le secteur culturel comme dans les autres secteurs. Et profitons de ce moment troublé pour initier des assises de la démocratie culturelle. Nous y travaillerons à l’élaboration de nouvelles formes de convention public/communs entre citoyens et collectivités, pour sortir les pratiques en commun(S) dans ce secteur d’une précarité durable qui met en péril les droits culturels de l’ensemble des concitoyen.ne.s. Les exemples existent, les propositions sont sur la table. Propriété d’usage, foncière solidaire, obligations réelles d’intérêt commun…

4) Nous nous joignons à Michel Bauwens de la P2P Foundation et Frédéric Sultan de Remix the commons (De l’occupation des lieux culturels à l’assemblée des communs, AOC, 15 mars 2021) pour appeler « les commoners et leurs collectifs à se réunir en Assemblée des communs afin de construire des alliances, répondre à leurs besoins par l’auto-organisation et interpeller l’État et les institutions ». Nous appelons dès la rentrée à une première Assemblée Nationale des Communs. Nous y élaborerons les conditions d’une véritable stratégie juridico-politique pour et par les communs, sur la base d’une large alliance entre acteurs de la société civile dans tous les champs où se déploient ces enjeux – sociaux, environnementaux, scientifiques et culturels.

5) Enfin, puisqu’il n’y a de communs que dans l’attention portée aux plus démunis, nous nous déclarons solidaires du mouvement d’occupation des théâtres et de ses revendications: année blanche pour tou.te.s les précaires ! Abrogation de la réforme de l’assurance chômage !

Pour que vivent les communs !
Que vivent les Lieux intermédiaires & indépendants !
Et que vive Mixart Myrys !

Il faut sauver Mix'Art Myrys !

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Réseaux Signataires : Artfactories/autresparts, UFISC (Union Fédérale d’Intervention des Structures Culturelles), CNLII (Coordination nationale des Lieux intermédiaires et indépendants), Actes-if, Synavi


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Il-faut-sauver-MixArt-Myrys-avril-2021

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