Le 19e atelier de réflexion organisé par l’association ARTfactories/Autre(s)pARTs s’est tenu à la friche Lamartine (Lyon) le 24 mars 2016. Une quarantaine de personnes y ont échangé d’une question centrale dans la vie des lieux intermédiaires : le relogement.

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Emménager, aménager, déménager

L’histoire des lieux intermédiaires, observait Jules Desgoutte en introduction à cette journée, suit un mouvement circulaire que l’on pourrait décomposer en trois temps : emménager, aménager, déménager. Cette dernière phase, plutôt que de marquer la fin d’un lieu, annonce souvent l’ouverture d’un autre lieu, autre part, sachant que, de l’un à l’autre, ce sont (plus ou moins) les mêmes personnes qui poursuivent l’aventure. Le relogement serait donc une caractéristique propre aux lieux intermédiaires, de même que la capacité de leurs résidants à résister aux changements d’espaces.

Afin de bien aborder les récits qui allaient suivre, Jules Desgoutte proposait quatre manières de poser la question du relogement.

La première manière consisterait à se focaliser sur le rapport au politique, ce terme étant entendu à la fois comme l’institutionnel par rapport à quoi le lieu se pose, et comme projet politique porté par le lieu en question.

La deuxième consisterait à interroger le rapport au territoire, ce dernier étant là encore considéré sur deux plans : le territoire urbain où s’inscrit le lieu, territoire potentiellement soumis à des réaménagements de plus ou moins grande ampleur (projet de rénovation urbaine, requalification, etc.) ; le territoire limité à l’emprise foncière du lieu et dont il importe d’étudier les modes d’aménagement interne.

La troisième manière d’aborder la question du relogement reviendrait à analyser le rapport au juridique car on n’ouvre pas un lieu public si facilement. Il convient en effet de veiller aux baux qui régissent son occupation, aux normes de sécurité à respecter, aux règles de la concurrence qui organisent le marché culturel, etc.

Enfin, le rapport au social, c’est-à-dire la manière dont se nouent des relations, aussi bien à l’intérieur des lieux entre leurs différents usagers qu’avec l’extérieur, serait un quatrième angle pour cerner ce que sont et font les lieux intermédiaires.

La matinée a été consacrée à la présentation de plusieurs lieux confrontés à la perspective d’un relogement.

KompleX Kapharnaüm

L’histoire de KompleX KapharnaüM (KXKM) illustre bien la réalité des lieux intermédiaires. Implantée depuis 20 ans à Villeurbanne dans le quartier de la Soie, en totale reconversion urbaine, son équipe est censée quitter le bâtiment (mis à sa disposition via un bail précaire) depuis 10 ans ! Mais son éviction est désormais actée. Fin 2016, elle devra déménager dans un nouvel espace situé avenue de Bohlen, à Vaulx-en-Velin, commune elle aussi située dans la banlieue lyonnaise.

La ville ayant demandé à KXKM d’écrire un cahier des charges pour la réhabilitation et le réaménagement de cet espace, l’équipe s’est trouvée confrontée à un projet d’une ampleur « effrayante » selon Julie Kalt, l’administratrice de KXKM. Le budget alloué (environ 3 M€) et la première traduction faite de ce cahier des charges par l’architecte désigné, les propulsaient dans une dimension et dans un lieu où ils ne se retrouvaient plus. Au terme d’une année de réflexion sur son identité, l’équipe de KXKM a décidé finalement de se saisir de cette opportunité pour articuler ses projets artistiques et ce projet architectural.

Migration est ainsi à la fois une création contextuelle, comme l’équipe en a l’habitude, et la construction d’un nouveau lieu pensé pour être modulaire, mobile et utilisable à différentes échelles. Autrement dit, le futur bâtiment sera composé d’un ensemble de modules faisant office d’espaces de travail et de rencontres, adaptables à différents formats et disciplines artistiques. Ces modules, simples à monter et à démonter, seront faciles à déplacer sur des territoires et dans des situations multiples. Enfin, ce lieu pourra servir aussi bien de base arrière pour KXKM, c’est-à-dire de lieu de fabrication non-ouvert au public, que d’avant-poste à l’occasion de projets déployés ailleurs, dans des espaces en friche, des territoires ruraux, des places publiques, etc.

KXKM a donc endossé le rôle d’un maître d’ouvrage confronté à une situation inédite car ni elle ni ses partenaires n’ont l’expérience d’un projet, d’un bâtiment ou d’un programme comparables. KXKM se trouve par ailleurs en position de maître d’œuvre et expérimente à sa manière la maîtrise d’usage d’un lieu totalement imbriqué à son propre projet artistique. Julie Kalt notait ainsi que « KXKM se retrouve en dehors de toutes les cases au niveau juridique », disposant d’une indemnité d’éviction confiée par la ville, hors marché public, pour assurer la phase 1 de ce programme, et devant apprendre, au risque de voir sombrer l’association, un « nouveau métier ».

« KXKM se retrouve en dehors de toutes les cases au niveau juridique »

Dans ces conditions, on comprend que Migration suscite l’intérêt et l’attention des partenaires publics qui y voient une expérimentation riche d’enseignements pour tous, et, potentiellement, une remise en question des rôles des différents acteurs impliqués dans l’aménagement des lieux privés financés par l’argent public et dans le réaménagement des espaces publics.

Grrrnd Zero

Selon Pierre qui, avec Florian, représentait l’association ce jour-là, l’idée qui présida à l’ouverture de Grrrnd Zero était la création d’un lieu de « propriété publique ». C’était en 2005. Le public lyonnais accueillit cette initiative avec enthousiasme mais la municipalité regarda d’un œil plus sévère l’apparition de cet organisateur d’ateliers de pratique artistique et de concerts plus ou moins légaux dans des lieux plus ou moins autorisés. L’association connut plusieurs délogements/relogements jusqu’à l’obtention, au terme d’un véritable bras de fer avec la Ville de Lyon, d’un espace situé à proximité des locaux prochainement investis par KXKM, avenue de Bolhen, à Vaulx-en-Velin.

Après l’avoir refusé, notamment parce qu’elle n’était pas habituée à recevoir ni gérer autant d’argent (la subvention d’investissement accordée est de 300 K€ alors que l’association perçoit annuellement à peine 10K€ de subvention), après l’avoir refusé donc, Grrrnd Zero a fini par accepter la maîtrise d’ouvrage de ce projet. Avec l’appui d’architectes militants acquis à sa cause, elle a constitué une équipe pour rénover elle-même les bâtiments dans le but d’en faire un lieu pérenne transmissible à d’autres, l’association se distinguant par le renouvellement régulier de ses membres. Aujourd’hui, Grrrnd Zero continue de faire appel aux bonnes volontés, dépense le moins possible mais s’assure néanmoins au fil du temps, via un bureau de contrôle, que les travaux sont faits dans les règles de l’art. Bien que le lieu soit en chantier, elle ne cesse pas d’y organiser des concerts, sa force étant, selon ses représentants, d’avoir une activité publique qu’elle peut utiliser dans le rapport de force qu’elle entretient depuis ses débuts avec les collectivités publiques.

Ce rapport de force par l’usage est caractéristique de l’activisme de Grrrnd Zero. « Le but, revendiquait Florian, c’est de faire ce qu’on a à faire, pas de répondre à une demande de la Ville » laquelle semble s’être résoute à soutenir l’association en signant un bail de 5 ans avec elle, une perspective inédite dans une histoire écrite jusqu’alors sous la forme de baux précaires. Mais le but n’est pas pour autant de se rendre trop visibles ni de se faire trop connaître de ses voisins, gage de liberté, semble-t-il, aux yeux des membres de l’association. Le but semble plutôt, au final, de faire des concerts, d’avoir un outil — ce nouveau lieu — pour que d’autres puissent en organiser à leur tour, et d’avoir le moins de comptes à rendre aux collectivités publiques.

Regards et mouvements

Lieu sédentaire pour nomades, L’Hostellerie de Pontempeyrat est un lieu privé situé en Loire dans un village de 50 habitants. Il est animé depuis 1996 par l’association Regards et mouvements. En raison de difficultés financières ayant entraîné la dégradation des relations entre le propriétaire du bâtiment et l’équipe de 4 personnes qui le géraient jusqu’alors, celle-ci a décidé de quitter l’endroit en mars 2016. Depuis, elle propose une programmation hors-les-murs en attendant d’être relogée dans un nouvel espace.

Cette situation oblige l’association à repenser son projet, d’autant plus qu’elle se trouve confrontée à des enjeux territoriaux multiples. Espérant être accueillie prochainement dans un lieu mis à disposition par la communauté de communes de Saint-Bonnet-le-Château, l’association ignore en effet dans quel territoire elle s’engage. Les frontières de la communauté de communes s’apprêtent à bouger, et celle qui séparait Auvergne et Rhône Alpes vient de disparaître. L’unique projet culturel d’envergure au croisement des départements de la Loire, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme suscite des intérêts qui fragilisent davantage Regards et mouvements.

Si tout reste encore possible et si l’équipe se veut optimiste, il reste à voir comment l’association traversera des questions d’ordre politique qui dépassent son objet et attentent potentiellement à son indépendance.

La friche Lamartine

La friche Lamartine se trouve elle aussi en phase de relogement. Ce n’est pas la première fois pour certains de ses occupants qui ont déjà partagé un autre lieu, la friche RVI, elle aussi située dans le 3e arrondissement de Lyon. Entre références à cette histoire encore sensible (la friche RVI a été détruite par un incendie) et négociations avec la Ville, l’équipe de la friche Lamartine ne cesse de débattre intensément sur les manières d’entrer dans un lieu 2 fois plus petit, la Robinetterie.

La perspective de ce relogement n’est pas une surprise. Dès leur entrée à Lamartine, les résidants de la friche savaient que le club de foot dont ils voient les terrains depuis leurs fenêtres récupérerait un jour le bâtiment qu’ils occupent. La situation n’en demeure pas moins inconfortable. Certains ne se sentent pas associés au choix des lieux possibles de relogement que leur propose la Ville, ni pris au sérieux lorsqu’ils lui soumettent d’autres adresses. Malgré les incertitudes quant à l’avenir du projet et de ses 250 membres permanents, la confiance semble de mise entre les représentants de la friche Lamartine et la Ville.

En attendant d’en savoir plus (sur l’emplacement et la qualité des lieux où ils seront relogés, sur les budgets pressentis pour les aménager), les Lamartiniens discutent des grandes orientations à donner à leur projet au sein de leurs différentes AG et des commissions de travail mises en place sur le sujet. Faut-il un seul lieu ou un réseau de lieux avec une « maison-mère » ? Faut-il accueillir du public dans cette dernière ? Comment s’organise la représentativité du peuple lamartinien ? La tenue de cet atelier d’ARTfactories/Autre(s)pARTs dans les locaux de la friche Lamartine était censée éclairer leurs débats internes.

L’après-midi s’est poursuivie par des échanges autour des enjeux et des problématiques abordées durant la matinée

Tous les récits de la matinée avaient en commun de pointer la fragilité des lieux évoqués, fragilité accentuée en période de relogement, c’est-à-dire durant les mois précédant le changement de lieu. Dans ces moments-là, la capacité d’adaptation du projet et des personnes qui le portent est essentielle. Le cas de Lamartine était sur ce point exemplaire puisqu’apparaissaient, entre les représentants de la friche, des différences de lecture de la situation, différences dues à une connaissance plus ou moins fine de l’histoire du lieu, de ses antécédents (notamment la friche RVI), mais aussi des enjeux politiques, territoriaux, juridiques, sociaux auxquels on se confronte inévitablement avec ce type de projet. Et c’est bien là toute la question de ces lieux au moment où ils changent de bâtiment ou de territoire : quels en sont les projets ? Comment et par qui sont-ils partagés ? Comment les uns et les autres s’y projettent, c’est-à-dire imaginent ensemble leur avenir ?…

Ce à quoi engage les lieux intermédiaires et ce qu’on y investit

S’ils sont collectifs, ces lieux suscitent des niveaux d’implication variable selon les personnes concernées. Les unes y engagent toute leur vie, d’autres y sont attachées un temps et peu, d’autres s’en font une idée lointaine quand elles n’en sont pas les usagères mais seulement les partenaires. Les pouvoirs publics (élus et techniciens) sont souvent dans ce cas et les participants à l’atelier étaient nombreux à dénoncer certaines de leurs attitudes et les conséquences de ces dernières sur la vie des lieux. À Amiens où se trouve la Briqueterie, la municipalité laisse ainsi traîner le chantier de rénovation dont elle a la responsabilité. Les travaux tardent, l’équipe se fatigue, le public ne peut plus venir, le projet s’étiole. À Marseille, au Comptoir de la Victorine, la municipalité n’engage pas les travaux nécessaires à la bonne tenue du lieu et à la sécurité de ses occupants, affaiblissant ainsi le projet qu’ils y mènent depuis des années. Selon Claude Renard qui relatait cet exemple, le désintérêt de la Ville pour ce lieu trahirait un arbitrage qu’elle n’avoue pas. À quelques centaines de mètres se trouve la friche La Belle de mai, un lieu autrement plus important en taille, largement financé il y a peu pour être transformé et mis aux normes. La Ville estimerait qu’elle a suffisamment fait dans ce quartier et aurait choisi un lieu au détriment d’un autre, le plus gros au détriment du plus petit.

Où se décide la vie culturelle d’un territoire ?

De ces deux exemples découle une première question : qui initie et qui décide de la vie culturelle d’un territoire ? Au risque de simplifier le problème, disons que cette question a été abordée sous deux angles différents tout au long de l’atelier. D’un côté, certaines personnes penchaient pour une décision qui reviendrait aux collectivités, les porteurs de projets et de lieux ayant à suivre, au mieux à anticiper, les orientations préalablement définies par les pouvoirs publics. De l’autre côté, certains porteurs de projet revendiquaient la légitimité citoyenne de leurs aventures et demandaient à ce que les collectivités les reconnaissent en tant que telles et les accompagnent. Entre ces deux approches caricaturées pour les besoins de cette synthèse, on se doute que les situations décrites sont plus intriquées et qu’elles oscillent plutôt d’un côté ou plutôt de l’autre en fonction des différentes situations auxquelles les porteurs de projet sont confrontés au fil de leurs aventures. On retrouve en cela la question du rapport au politique évoqué par Jules Desgoutte dans son introduction, rapport où s’expriment des manières différentes de s’engager soi-même en politique, plutôt citoyen responsable de ses propres actions au nom de l’intérêt général, ou plutôt administré de la chose publique telle qu’elle est définie par ses représentants.

Public et pouvoirs publics

Autre question induite dans les récits mentionnés en début d’après-midi : quelle maîtrise de leurs outils de travail les porteurs de projet ont-ils ? Que peuvent-ils faire quand ces lieux sont en travaux ? Qui décide de ces travaux ? Qui les programme et les conduit ? Dans quel cadre juridique sont-ils réalisés ? Autrement dit, qui, en dernier ressort, est responsable juridiquement de ces lieux et de ce qu’il s’y passe ? Ces questions d’ordre juridique sont capitales puisqu’elles recoupent une autre problématique, fondamentale pour les artistes et les acteurs culturels, celle du rapport au public. Si l’on admet que l’art et la culture demandent à être montrés, partagés et fabriquée publiquement, alors l’éviction du public des lieux en travaux sape les fondements du travail artistique et culturel. Que les lieux intermédiaires dépendent des aléas du public et des aléas des pouvoirs publics explique tout autant leur légitimité que leur fragilité.

Si l’on admet que l’art et la culture demandent à être montrés, partagés et fabriquée publiquement, alors l’éviction du public des lieux en travaux sape les fondements du travail artistique et culturel.

L’exemple du Chêne était à ce titre éloquent. Implanté à Villejuif (94), ce collectif, au départ de sculpteurs, aujourd’hui d’associations dont la Ressourcerie du spectacle, est parvenu à accueillir du public dans le lieu qu’il occupe malgré l’absence d’ERP. Selon sa représentante lors de cet atelier, Ahlam Benlemselmi, cette tolérance s’explique par la reconnaissance publique de certains artistes/artisans œuvrant au Chêne. Reste que le redécoupage administratif en cours dans la région génère une situation inconfortable pour le collectif au moment où il doit changer de lieu : difficile en effet de trouver un ou des interlocuteurs suffisamment éclairés pour les accompagner dans cette période délicate. Ahlam Benlemselmi y voyait néanmoins une occasion pour reconsidérer le projet du collectif et lui trouver une nouvelle place dans un contexte territorial reconfiguré. La Ressourcerie du spectacle et son modèle économique novateur dans le secteur culturel, les liens qu’elle noue entre création et environnement (articulation au centre des préoccupations de la Ville de Paris), les réflexions qu’elle nourrit en s’inspirant de diverses démarches alternatives (alternatiba, l’applicabilité du droit culturel telle qu’elle est pensée en Belgique, l’économie circulaire, etc.) indiquent certainement un projet et un lieu à venir.

Savoir se positionner

Occuper ou trouver un lieu ne suffit pas, il faut aussi savoir comment on se positionne symboliquement et politiquement sur le territoire où l’on est implanté.

Au fil des années, la fabrique Pola est passée d’un regroupement d’artistes et d’acteurs évoluant dans le champ des arts visuels et de l’architecture au statut de référence et de référent en la matière dans la région Aquitaine. À la faveur d’un énième projet de relogement, elle a su faire valoir son expérience, sa légitimité et la solidité de son travail auprès des pouvoirs publics locaux : ceux-ci, indiquait Blaise Mercier, viennent de lui octroyer un nouveau lieu à Bordeaux assorti d’un bail au long cours (6 ans) et d’une enveloppe conséquente pour le rénover/aménager (1M€). Toujours en attente d’un lieu pérenne depuis sa création au début des années 2000, Pola s’apprête donc à connaître la stabilité et peut commencer à se projeter. Se pose alors une question inédite : comment éviter le risque d’institutionnalisation, c’est-à-dire de devenir le lieu qui concentre l’attention et les moyens ? En se déplaçant ! Autrement dit en veillant à œuvrer à l’échelle de tout le territoire, ce qui, pour le moment, se fait au travers des nombreuses formations qu’elle dispense partout en Aquitaine.

Savoir négocier

Pour faire sa place et affiner son positionnement sur un territoire, il convient de négocier. Avec les pouvoirs publics, avec ses partenaires, avec ses homologues, etc., soit une multitude d’interlocuteurs qui rend l’exercice complexe, parfois périlleux. Les participants à l’atelier ont passé un certain temps à se donner des conseils et à partager des anecdotes, les plus expérimentés confirmant aux plus jeunes qu’il n’existe pas de techniques infaillibles mais seulement quelques règles générales à respecter :

  • il faut savoir dire non et il faut savoir dire oui !
  • il peut être utile de mettre tous ses partenaires autour d’une même table
  • avoir le sens de l’opportunité (le kaïros de la Grèce antique) est une grande qualité
  • il importe de repérer les personnes qui ont le pouvoir
  • participer à des instances de type commission de travail peut faciliter ce travail de repérage
  • trouver des appuis à l’échelle nationale (ou internationale) peut aider la négociation au niveau local, que cela passe, par exemple, par les actions de la CNLII auprès du ministère de la Culture ou par l’implication au sein d’un réseau du type d’ARTfactories/Autre(s)pARTs
  • défendre les valeurs et l’intégrité de son projet.

L’état des lieux

De nombreux participants en témoignaient : la possibilité ou l’annonce d’un délogement/relogement est l’occasion d’affirmer les valeurs et l’intégrité de son projet. Cette perspective oblige en effet les parties prenantes à se mettre autour de la table, ce qui permet de connaître les envies, les ambitions, les capacités des uns et des autres. C’est une opportunité pour faire un état des lieux, parfois en sollicitant de nouvelles personnes susceptibles d’accompagner ce changement. Pendant la discussion, il a été fait mention des DLA (dispositif local d’accompagnement) qui peuvent faciliter ce travail de clarification et d’échange entre les personnes à propos du projet qui les réunit. Quelqu’un a également raconté qu’un lieu avait ouvert grâce à une campagne de financement participatif dont le principe était que chaque contributeur se trouve propriétaire d’un morceau du bâtiment (pierre, tuyau, tuile, etc.). Plus qu’un moyen de récolter de l’argent, cette démarche a relancé le projet à nouveaux frais.

Les questions d’ordre juridique que pose ce dernier exemple (être copropriétaire d’un lieu ne signifie pas être co-responsable de ce qu’il s’y passe) ont amené les participants à s’interroger sur la nature du modèle économique de ces lieux. Dans ce dernier cas, il s’agit moins d’une démarche coopérative que contributive, la première impliquant sur le plan juridique un engagement plus important que la seconde. Jules Desgoutte voyait dans ce modèle contributif la mise en acte de la notion de communs (commons en anglais, tel qu’on le retrouve dans la notion de creative commons utilisée dans la culture numérique, laquelle s’est construite sur ce modèle). La logique des communs ne relève ni de l’économie marchande, ni de l’économie d’État. Elle est autre. Elle amène à considérer un objet ou un projet sous l’angle de l’usage et du bien commun, non sous celui de sa valorisation financière ou de son appropriation par certains à l’exclusion définitive d’autres (l’eau ou l’air sont souvent pris en exemples pour illustrer cette logique des communs). Reste la question de la responsabilité d’un objet ou d’un projet qui, au final, échoit toujours à un individu ou à un groupe de personnes et non à un ensemble indéterminé…

Les lieux intermédiaires seraient le creuset de transformations sociétales qui y trouvent un terrain d’expérimentation

À travers leurs manières de s’organiser, les lieux intermédiaires interrogeraient néanmoins cette notion de communs. Ils seraient même le creuset de transformations sociétales qui y trouvent un terrain d’expérimentation. Pour preuve, la manière dont se redistribuent aujourd’hui les rôles entre maîtres d’œuvre, maîtres d’ouvrage et usagers quand ces lieux font l’objet de travaux ou quand ils ouvrent. Les témoignages de nombreux participants à cet atelier (KompleXKapharnauM, Grrrnd Zero, Pola, etc.) mettaient en lumière le fait que les collectivités publiques ont tendance à laisser aux acteurs réunis en association la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage, une situation tout à fait inédite dans le secteur culturel. Cette nouvelle répartition des rôles et des attributions a des conséquences sur l’association (son objet, son fonctionnement, voire son statut juridique). Elle en a aussi sur la nature des compétences qu’elle doit posséder en interne ou qu’elle doit savoir solliciter. À ce propos, l’idée a été avancée qu’ARTfactories/Autre(s)pARTs réalise un outil d’aide à la décision (sous forme de dossier-ressource) pour les acteurs qui se trouveraient confrontés à cette situation.

Actualité de la maîtrise d’usage

Que des acteurs acquièrent la maîtrise d’ouvrage des lieux qu’ils utilisent ne rend pas caduque la notion, historiquement défendue par les membres d’ARTfactories / Autre(s)pARTs, de la maîtrise d’usage. Tout d’abord pour la raison que les artistes et les acteurs culturels sont avant tout des usagers. Perdre de vue cette dimension serait certainement se méprendre sur ce qu’est la fabrique du sensible, autrement dit la culture telle qu’elle se pratique et s’active au sein des lieux intermédiaires. Et puis il se trouve que la maîtrise d’ouvrage n’est plus d’actualité lorsque le lieu est livré. Reste la question, continue quant à elle, de l’usage, ce dernier concernant à la fois les salariés du lieu et le public qui le fréquente. Pour illustrer ce point, Claude Renard prenait l’exemple de la friche La Belle de mai dont les usagers, quoiqu’ils aient été maîtres d’ouvrage de la requalification du lieu via la société coopérative d’intérêt collectif constituée pour l’occasion, ne profitent pas aujourd’hui d’une réelle maîtrise d’usage.

Le problème est encore et toujours celui de la responsabilité, présentée par Marc Villarubias comme principal point de blocage/tension pour les collectivités publiques en charge de garantir la sécurité des personnes dans tout lieu public. L’argument fut admis, mais on se plaignit également des effets néfastes du principe de précaution lorsqu’il bride trop fortement l’expression et la réunion publiques. Quant aux normes (de sécurité ou d’autres choses), Joël Lécussan rappelait que de nombreux responsables culturels ou politiques, pour le bien de tous, heureusement, les outrepassaient. Mais jusqu’à quand ?

Synthèse réalisée par Sébastien Gazeau pour ARTfactories/Autre(s)pARTs

Les photographies ont été réalisées par Frédéric Ortuño pour ARTfactories / Autre(s)pARTs

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