Rapport d’activité 2021

De nouvelles idées claires et lumineuses ont pourtant surgi de cette période troublée : nous savons désormais qu’il n’y aura pas de salut pour nous seulement. Notre sort est indéfectiblement lié à celui du milieu vivant dont nous participons en tant qu’espèce. Négliger son entretien, c’est se négliger soi-même. Cette inscription d’un souci de soi à l’échelle de l’espèce et non seulement du social ou de l’individuel est une caractéristique essentielle du moment que nous traversons. Elle amène à réviser les hypothèses sur lesquelles nous faisions reposer notre imaginaire politique, et notamment celle d’une grande séparation entre les choses de nature et les affaires des hommes, la séparation entre le naturel et le culturel, dont procédait leur essentialisation en Nature et Culture.

C’est pourquoi il est si important de souligner que le travail à venir pour réparer le mal que nous continuons de faire au monde dans lequel nous vivons et à nous même, ce travail de panser le vivant, est une affaire éminemment culturelle (à parler dans les termes de cet ancien monde qu’il s’agit pourtant de quitter). Et c’est même la raison pour laquelle la culture n’a jamais autant été essentielle – conscience qui a bien manqué durant cette dernière période dont ce n’est pas le moindre des manques.

Pour autant, se soucier de culture au moment de panser le vivant, c’est nécessairement faire culture autrement. C’est sortir d’une logique de secteur, d’une entrée étroitement institutionnelle, sans pour autant verser dans l’idiotie libérale de la culture comme bien de consommation, comme industrie et comme marché. C’est penser le tiers : c’est agir en commun(s). C’est penser la culture comme ce qui fait tenir entre les êtres un monde en commun, comme ce qui le rend habitable et habité, comme ce qui l’entre-tient.

Ainsi en tout cas raisonnait Bernard Stiegler dans « Qu’appelle-t-on panser ? La leçon de Greta Thunberg » : « se poser la question de l’être, c’est nécessairement l’inscrire dans une perspective historique où il s’agit de soigner ce qui reste à venir du passé. »

Sur le plan de l’art, c’est sortir du culte des grandes œuvres et des grands artistes, pour s’intéresser à cette question centrale dans toute réflexion esthétique, la question de la forme, non plus seulement comme caractéristique de l’œuvre, mais aussi de la vie elle-même, en tant que ce qui se perpétue. C’est ainsi poser la question esthétique non seulement dans l’examen des résultats du travail des artistes, mais, à l’instar de Witold Gombrowicz, comme modalité de l’adéquation à sa propre forme de vie. Comme visage et regard sur le monde, comme souci d’être et être-soucieux.

Dans cette re-disposition de la chose culturelle, où s’affranchit la séparation entre le naturel et le culturel, il se pourrait que l’enjeu essentiel ne soit plus de faire œuvre, mais de faire milieu. Que l’essentiel se soit déplacé de l’enjeu de création vers l’enjeu de transmission.

Alors, le monde de la culture, où se projette encore, malgré l’annonce de la mort de Dieu voilà deux siècles, l’ombre d’un sujet transcendantal, où l’idée d’un sujet divin de la Création habite encore la figure de l’Artiste, réaliserait enfin pour lui-même les conséquences dernières de l’interpellation de Samuel Beckett : « qu’importe qui parle ! ».

Si en tout cas il devait être un endroit dans le champ culturel pour une telle prise de conscience, cet endroit est celui de ces lieux que l’on nomme « lieux intermédiaires ». Ce serait celui de ces espaces-projets au carrefour d’agir multiples, et que composent dans la durée les personnes qui les occupent, comme milieu bien plus que comme lieu.

Ainsi, si la saison 2020/2021 a été dure encore pour chacun.E.s, et pour les lieux intermédiaires et indépendants en particulier, elle n’en a pas moins été l’occasion d’une relance.

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