Mémento est un projet porté par Artfacrories/autreparts (Afap) au cœur d’un territoire métropolitain, sur les communes de Lyon, Villeurbanne et Vaulx-en-Velin La Soie. Il se déploie au sein de différentes expériences d’occupation de friches industrielles et d’anciens locaux professionnels, où s’entrecroisent des pratiques artistiques et plus largement culturelles et sociales : l’expérience de l’association Lamartine, ainsi que celle de l’occupation temporaire du CCO-La Rayonne.

Chacune d’elles se singularise depuis des histoires qui leur sont propres mais qui me semblent traversées par au moins un trait commun : la relation étroite entre les pratiques, les espaces et les territoires où elles se développent. Elles partagent également un contexte, celui d’un relogement en cours ou à venir. L’association Lamartine s’est vue relogée en septembre 2019 sur différents sites de la ville de Lyon. L’occupation temporaire du CCO-La Rayonne, malgré le fait qu’elle prendra fin en décembre 2020, préfigure la future implantation du CCO. Le centre culturel, qui fait partie du paysage socio-culturel Villeurbannais depuis bientôt soixante ans, prendra possession de ses nouveaux locaux et de son nouveau nom “La Rayonne” à l’horizon 2023.

Ces expériences d’occupations de friches industrielles, en même temps qu’elles se banalisent dans l’action publique, se raréfient avec la diminution du nombre de ces espaces qui témoignent d’un passé industriel au cœur des métropoles. Par ailleurs, avec la mouvance du transitoire et du temporaire, s’adjoint, à cette densification des espaces, une densification des temps et des processus de normalisation toujours plus complexe. Les enjeux que l’évidence, un peu trop rapide, nous feraient voir comme spatiaux, sont donc tout autant temporels. Quand une expérience collective rencontre un espace (une ancienne robinetterie, corseterie, un ancien IUFM…), ce sont aussi des précédents, des histoires individuelles et collectives qui se rencontrent. Ainsi, Mémento s’intéresse à la manière dont les pratiques et les usages, dans ces lieux, se “chargent” et se composent, entre autres, depuis ces mémoires en relation, vives et diffuses. Les situations de relogement apparaissent ainsi comme des moments où les espaces et les temps se déplacent et (re)font lieu en réengageant de nouveaux processus relationnels. Cette entrée relationnelle tente d’échapper aux tentatives de muséification des territoires1 ou encore de maîtrise des mémoires et des usages. Phénomène que l’on observe notamment dans certaines coopérations entre aménageurs, promoteurs, décideurs et opérateurs du champ culturel, mais aussi dans la production de nouveaux secteurs professionnels liés au « temporaire » ou encore l’aménagement des quartiers populaires2.

Le projet Mémento fait donc l’hypothèse qu’au cœur des pratiques et des usages, résident et se déplacent les mémoires de ces espaces-temps et y donnent accès de façon singuriel3. Pour le dire autrement, comment penser (ou accepter) les mémoires des lieux — comme on envisagerait celle d’un être vivant : mouvante, changeante, communicante, créative mais aussi faillible et finie — plutôt que de penser des lieux de mémoire, ceux où l’on se remémore depuis des reconstitutions qui figent parfois les temps et les interprétations. Pour se saisir de cette mémoire diffuse, comme si l’on entendait se saisir de l’air en suspension, nous avons souhaité, au sein d’Afap, interroger nos expériences de lieux depuis l’idée d’archives en expérience. Quelles expériences nos lieux font de l’archive ? Les lieux, les usages, les pratiques, ne peuvent-illes pas être pensé·e·s comme les archives de cette mémoire vive ? Et, donc, ne sont-elles pas des projections de la mémoire dans les présents à venir ?

La présente recherche-création, entend ainsi aborder l’archives en expérience, en occupant les différents espaces du projet, depuis ce prétexte de l’archive. La présentation du projet, faussement exhaustive, s’arrêtera donc à ces quelques lignes pour ensuite vous donner à le découvrir au travers de différentes formes (mémos, journaux, pièces radiophoniques, performances, rencontres..). C’est ainsi qu’en “opposition”4 au célèbre fonds d’archives, Mémento travaille également à penser une « formes d’archives » dans l’idée de vous inviter, en tant que lecteur·rice·s, auditeur·rice·s ou contributeur·rice·s, à partager cette archives en expérience.

Pour alimenter ce processus, il sera question, dans cet espace numérique, de Mémos (substantif masculin de mémorandum et synonyme de Mémento), terme aussi connu sous le nom d’ « aide-mémoire » ou plus sévèrement de « pense-bête »5. Un mémo n’est pas une archive en soi, mais il reproduit un geste qui s’apparente à celui qui anime la production d’archives. Il tente, dans un moment présent, d’anticiper sur le fait qu’on risque d’oublier quelque chose pouvant avoir un impact positif ou négatif à l’avenir. Prenons l’exemple du post-it papier ou désormais numérique : « n’oublie pas de sortir les poubelles ». Il signifie d’une part que je ne suis présentement pas disponible pour réaliser cette opération, ou que ce n’est pas le moment, tout en me laissant la possibilité technique de réaliser le mémo. D’autre part, Il me donne à anticiper les problèmes qu’une poubelle trop pleine dans un espace clos peut engendrer. De même qu’il inscrit l’action présente dans « l’à-venir », le mémo n’est pas dissociable d’expériences précédentes qui nous invitent à anticiper. Le mémo fait l’expérience, au temps présent, de la juxtaposition des temporalités et de la manière dont elles dialoguent depuis notre corps et l’expérience qui s’y loge. Il induit une relation particulière de nous-même à notre propre mémoire et à l’instant T.

Ainsi, les mémos dont il sera question ici tâcheront de rendre compte du processus Mémento à même sa réalisation, depuis le point de vue d’un de ses acteurs (moi-même). En tant que coopérateur d’Afap, membre de l’association Lamartine, acteur de la recherche-action Palimpseste à La Rayonne et doctorant en sociologie, j’ai participé à l’élaboration du projet Mémento, tout en en faisant un “cas” pour ma propre recherche en sociologie. À l’image des lieux dans lesquels le projet me donne à évoluer, la thématique foisonnante de l’archive m’a conduit à délibérer, pour moi-même, sur la façon de partager l’enquête que je réalise. Je fais ainsi le choix de la mise en récit, sous la forme de fragments-récits thématiques nommés Mémos. Chacun des mémos que vous découvrirez ici, vous donnera à entrer de manière située dans le projet, tout en vous permettant de l’interroger depuis votre expérience. Chaque Mémo est interdépendant et autonome. Ils dialogueront les uns et les autres au moyen d’hyperliens qui formaliseront un lien entre ces fragments-récits.

Enfin, cette approche en terme de mémos se veut ouverte. N’hésitez pas à nous faire parvenir des mémos qui viendraient rebondir sur ceux existant, et qui viendraient aussi raconter, vous raconter en racontant vos lieux et vice-versa


1 Gauthier, Alain. (1986). La reconstitution spectrale, Traverses, n°36, 103-109.

2 Dans son ouvrage « De cendres et de braises » Manon Ott évoque le phénomène médiatiques qui font bien souvent des quartiers populaires des quartiers sans histoires. Dans Ott, Manon. (2019). De cendres et de braises. Voix et histoires d’une banlieue populaire. Paris, France : Anamosa

3 Deck, François, (2015). La première personne du singuriel. Toulouse, France : Contrat Maint. Cette expression convient tout autant aux pratiques de ces lieux qu’à la notion d’archives évoquée ci-après.

4 Le terme opposition renvoie ici à une dimension de position : « strictement à l’opposé ». Il ne s’agit pas d’une opposition contestataire à la production d’un fonds d’archives mais plutôt une volonté d’explorer ce qu’il y a à l’opposé du fond pour ensuite penser fond et forme de façon concomitante. Ce questionnement autour de la forme se fait d’ailleurs depuis des fonds d’archives où la production d’un fonds d’archives.

5 Coïncidence : j’apprends, en utilisant le terme “Pense-bête”, qu’on le découvre dans un romans de George Courteline , “Commissaire bon enfant”, romancier qui a donné son nom à la rue où se trouve l’actuel CCO qui déménagera en 2023 rue Alfred de Musset où se trouve actuellement l’occupation temporaire du CCO-La Rayonne.


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