La vocation d’Artfactories/autresparts (telle qu’elle est inscrite dans les statuts de l’association) est d’accompagner les espaces et les projets œuvrant à une transformation des rapports entre arts, territoires et populations. Elle s’appuie sur un constat : que l’art, dans sa pratique, dans ses œuvres, dans son institution, est mal partagé.
Que l’art soit partagé par tou.te.s ; que les possibilités offertes par la pratique artistique soient l’objet d’un partage démocratique : voilà l’impératif qui guide cette volonté de transformation. Il se traduit dans une conviction : pourvu que l’art soit l’objet d’un véritable partage, il contribuera à la composition des mondes.
Cette conviction se fonde sur l’expérience de ses membres : dans des pratiques spatiales et des formes d’action culturelle, des espaces/projets dont la conduite répond de l’exigence contradictoire d’autonomie et de partage que porte en lui le fait artistique.
Quant à cette exigence contradictoire, elle est conséquence d’un double attribut de l’expérience esthétique : son universalité et son incommensurabilité. De la reconnaissance de l’incommensurabilité de l’expérience esthétique (qu’on peut résumer ainsi : « toute expérience esthétique se vaut » ) découle en effet :
– le caractère singulier des œuvres d’art ;
– l’exigence d’un partage non seulement des résultats du travail artistique, mais de son procès lui-même ;
– l’autonomie des valeurs éthiques et esthétiques qui y sont engagées, dans la singularité qui les fonde comme dans l’universalité de leur adresse.
Ainsi, ces autre(s) part(s) œuvrent à :
– la reconnaissance de la multiplicité des cultures (qui découle de l’incommensurabilité de l’expérience esthétique) ;
– l’autonomie du travail artistique (qui découle de la singularité de chaque geste) ;
– le partage du fait artistique et culturel dans sa pratique comme dans ses œuvres (qui découle de l’universalité de leur adresse).
« Qu’importe qui parle ! » écrivait Beckett
C’est pourquoi notre conviction est que l’autonomie de l’art ne peut se réaliser à travers la seule affirmation d’une autonomie de l’œuvre, d’une liberté individuelle de l’artiste (garantie par un statut), ou d’une exception culturelle garantie par l’Etat, mais demande le déploiement transversal et trans-sectoriel de la sphère du travail artistique, le déploiement d’une interdépendance à la fois sociale et spatiale, impliquant des espaces autres, des « autres parts », des formes hospitalières de la pratique artistique nourrissant l’altérité en son sein, et qui, dans la multiplication des dépendances, lui permette de construire une autonomie matérielle tant à l’égard de la sphère marchande que de la sphère publique.
Cette conviction mérite d’être réaffirmée au moment où notre société fait face à la nécessité d’une bifurcation écologique qui nous conduit vers une transformation sociale de grande ampleur ; elle mérite d’être réaffirmée au moment où de nouveaux modes d’action politique émergent, où nos rapports à la vie, au corps, à l’habiter, au travail, bougent de toute part. Où se réinventent nos manières de faire monde en commun.
Mais elle mérite également d’être réexaminée en fonction de ces transformations, sans s’enfermer dans des appellations (lieux intermédiaires, fabriques artistiques, tiers-lieux) et des constructions (AFAs, Fabriques, ESS & Culture, Droits culturels…), y compris quand elles s’appuient sur des analyses auxquelles notre association a contribué, à travers par exemple le rapport Lextrait et la notion d’espaces intermédiaires, quand nos pratiques spatiales avaient pour formes principales l’occupation de délaissés urbains à des fins artistiques et culturelles, dans des contextes de désindustrialisation des métropoles.
La mainmise de la promotion immobilière sur le territoire urbain, le raffinement des technologies de contrôle de l’espace, a, sinon fait disparaitre la possibilité de ces interstices, du moins conditionné leur acteur.ices à des formes économicisées et domestiquées de pratiques – urbanisme transitoire, tiers-lieux culturels, industries créatives… Dans le même temps, l’institutionnalisation de la précarité, telle qu’elle s’est déployée dans ces interstices, tout en renforçant la division des classes à l’intérieur du travail artistique, tend à priver les classes les moins favorisées de la possibilité même d’accéder aux espaces de son renouvellement. Ainsi faut-il comprendre l’indexation à la marge de ces pratiques et des espaces comme un moment de leur institutionnalisation.
Dans ce contexte, nous ne pouvons nous contenter d’une logique de réseau de lieux visant la défense d’une marge artistique, à travers la construction d’un plaidoyer aux appellations fragiles et aux contours mal définis, que ce soit dans le champ de l’ESS, dans le milieu culturel ou au sein du paradigme émergent des tiers-lieux. Nous devons, au contraire, reprendre le travail d’auto- description des formes authentiquement transformatrices et partageuses de nos pratiques spatiales, sous peine de nous enfermer dans une forme de stérilité – sous peine de manquer les espaces où réellement s’ouvrent aujourd’hui des possibilités d’élaboration du sensible et de réinvention de son partage.
Renouveler la vocation d’Artfactories/autresparts, c’est tenir compte de l’émergence de nouveaux modes d’action. Ce n’est plus seulement considérer l’art comme l’objet d’une aspiration démocratique, c’est établir de quelle manière et depuis quels déplacements la pratique artistique peut contribuer à la composition d’un monde en commun, tout en examinant comment elle est prise à partie dans ses pires travers (y compris et d’abord dans nos lieux), et partie prenante de leur production. C’est repartir à l’expérience, en quête de ces espaces où inventer aujourd’hui nos formes de vie à venir.