Les nouveaux modèles d’organisation de la ville laissent peu de place aux lieux et aux projets qui travaillent la question de l’espace public. Et quand ils parviennent à exister, c’est en employant des méthodes et selon des conceptions parfois très différentes. En confrontant deux expériences radicalement opposées, cet atelier de réflexion a permis d’interroger les modes d’action possibles des acteurs artistiques et culturels dans le contexte ultrasensible de la ville dite créative.

L’association DoX, le collectif d’artistes ABI/ABO et la friche Lamartine ont accueilli les 12 et 13 juin 2012 au 28-30 de la rue Lamartine une vingtaine de personnes autour d’une question: «Ville sensible, partage et fabrication: quels lieux?» Organisée dans le 3e arrondissement de Lyon, cette rencontre s’est appuyée sur les récits des expériences menées dans cette ville par le Théâtre des Asphodèles (Thierry Auzer) et par Grrrnd Zero (Florian Michel). Le lendemain matin, la deuxième demi-journée de cet atelier de réflexion a démarré par l’intervention en visioconférence de Emilie Da Lage, maîtresse de conférences en sciences de la communication (Lille 3), sur le thème de la ville créative.

Le 12 juin après-midi, la discussion a eu lieu entre Pierre Amoudruz (AADN, Lyon), Thierry Auzer (Théâtre des Asphodèles), Pauline Bance & Julie Kalt (KomplexKapharnaüm, Villeurbanne), Hélène Causse (Efemera, Lyon), Elise Daunay & Damien Prost-Roman (Grand Parc Miribel Jaunage, Vaulx-en-Velin), Jules Desgoutte et Pierre Gonzales (ABI/ABO, Lyon), Serge Desautels (Odyssée et cie, Lyon), Jean Djemad (Cie Black Blanc Beur, Trappes), Sébastien Gazeau, Olivier Fauquembergue (Théâtre de chambre, Aulnoye-Aymeries), Marion Grange (Ramdam, Sainte-Foy-lès-Lyon), Julien Grosjean & Florian Michel (Grrrd Zero), Régis Hébette & Chloé Secher (Actes if, région parisienne), AlexandreJolly (Fixart, Lyon), Bahija Kibou (ARTfactories / Autre(s)pARTs), Gilles Malatray (Des arts sonnants, Lyon), Fred Ortuño (Couac, Toulouse), Jean-Louis Sackur (Comptoir de la Victorine, Marseille), Elodie Salatko (Gare au théâtre, Vitry-sur-Seine).

Les participants à la matinée du 13 juin étaient Pauline Armellini (Arf vif, Lyon), Thierry Auzer (Théâtre des Asphodèles), Myriam Betoumi (Banlieues d’Europe, Lyon), Hélène Causse (Efemera, Lyon), Franck Charlin & Yannick Deguilhem (Agence d’urbanisme de Lyon), Eric Chevance & Bahija Kibou (ARTfactories / Autre(s)pARTs), Jules Desgoutte et Pierre Gonzales (ABI/ABO, Lyon), Jean Djemad (Cie Black Blanc Beur, Trappes), Olivier Fauquembergue (Théâtre de chambre, Aulnoye-Aymeries), Sébastien Gazeau,Marion Grange (Ramdam, Sainte-Foy-lès-Lyon), Régis Hébette & Chloé Secher (Actes if, région parisienne), Gilles Malatray (Des arts sonnants, Lyon), Elodie Salatko (Gare au théâtre, Vitry-sur-Seine).


Synthèse courte

Villes créatives et démarches artistiques

La ville créative impose de reconsidérer la notion de sensible et donc les modes d’action des travailleurs du sensible que sont les artistes et les acteurs culturels. Ce modèle d’organisation urbaine s’est imposé ces 15 dernières années dans de nombreuses villes d’Europe et d’ailleurs en défendant le secteur des industries créatives (mode, design, jeux vidéo, architecture, etc.) comme levier de développement économique. Le succès de ce modèle s’explique de plusieurs manières. Le régime de l’art, qui depuis plus d’un siècle, tend à confondre les créateurs et les spectateurs, se diffuse désormais dans l’ensemble de la société et fait le lit de la créativité. Cette notion, incarnée par les industries du même nom auxquelles tout le monde a potentiellement accès,est par ailleurs en passe de supplanter celle d’artistique. Or, il apparaît que ce concept de créativité s’appuie sur une idéologie marquée par des considérations strictement marchandes qui ont tendance à normaliser nos rapports sensibles à la ville et au monde. Dans ce nouveau contexte culturel et urbain, à quels endroits les artistes peuvent-ils intervenir?

Quels terrains d’action?

La manière dont le Théâtre des Asphodèles et Grrrnd Zero tentent d’agir dans l’espace urbain lyonnais a été le point d’appui de cet atelier de réflexion. L’une dans le champ du théâtre, l’autre dans celui des musiques expérimentales, ces deux structures revendiquent des places différentes dans l’espace urbain. La première, dirigée par Thierry Auzer, cherche à s’implanter durablement dans un lieu qu’elle mettrait en partage avec la population, de sorte qu’il s’agirait à terme d’un lieu porté collectivement, et juridiquement reconnu comme tel. La seconde, présentée par Florian Michel, défend un activisme anonyme et bénévole susceptible d’infléchir de manière diffuse les usages de l’espace urbain. L’une et l’autre de ces expériences souffrent de situations qui les dépassent. Thierry Auzer a du mal à faire reconnaître la dimension collective de sa démarche; Grrnd Zero est fragilisé par un manque d’incarnation de son action.

Nouveaux territoires sensibles

Tout lieu apparaît dès lors dans son ambivalence, et ce d’autant plus qu’il est pris dans un environnement urbain marqué par la prolifération des espaces marchands et le contrôle des espaces publics. D’où l’appel lancé par Jules Desgoutte à déconstruire la notion même de lieu afin d’interroger la manière dont on souhaite, par ce biais, prendre un certain pouvoir et modifier les usages de la ville contemporaine. Revenant sur le sort du mouvement Occupy Wall Street, il a ainsi montré que l’occupation d’un lieu ne suffisait plus à transformer l’organisation de la ville. Ce qui importe aujourd’hui, c’est peut-être de réfléchir aux conduites du pouvoir tel qu’il s’exerce à l’échelle d’une ville mais aussi à l’intérieur de ces «espaces autres» selon l’expression de Michel Foucault que sont les aventures collectives. Alors, éventuellement, apparaîtront de nouveaux territoires sensibles.

Sébastien Gazeau
Textes rédigés à partir des propos tenus à Lyon les 12 et 13 juin 2012 lors de l’atelier intitulé «Ville sensible, partage et fabrication: quels lieux?»
Bahija Kibou (Af/Ap) Coordination des Ateliers de réflexions

 


Synthèse longue

Les enjeux du sensible

Le thème de cet atelier nécessitait quelques éclaircissements apportés par Jules Desgoutte tout au long de ces deux demi-journées, notamment sur la notion de «ville sensible». De quel sensible parle-t-on en effet? Et en quoi la ville est-elle un lieu opérant pour les «travailleurs du sensible» que sont les artistes et les acteurs culturels? La ville européenne est héritière du modèle grec de la cité considérée comme concernant l’ensemble des citoyens. Autrement dit, elle est la résultante des gens quiy habitent et elle peut être de ce fait appréhendée comme un objet sensible. Pour cette raison, il est logique que ces «travailleurs du sensible» soient concernés par l’urbanisme, lequel transforme la ville.

Devançant les propos tenus le 13 juin au matin par Emilie Da Lage, Jules Desgoutte pointait une difficulté rencontrée aujourd’hui par les «partageux de la culture » que sont, de son point de vue, les membres d’ARTfactories/ Autre(s)pARTs.Défendant l’idée d’un «art à tous», ils se trouvent confrontés aux effets de ce nouveau régime de l’art qui ne distingue plus d’un côté ceux qui créent et de l’autre ceux qui contemplent les œuvres, mais qui entretient une confusion entre les uns et les autres. Ce nouveau «partage du sensible» est d’autant plus remarquable dans la ville contemporaine qu’elle est «sensible à tous». Cette mise en partage semble avoir provoqué l’avènement d’une définition dominante du sensible, intégrée à la fabrique de la ville contemporaine, définition difficile à saisir puisqu’elle incorpore et détourne des visions opposées. La notion de créativité a tendance par exemple à se confondre avec celle d’art et à en lisser les spécificités. Du point de vue urbanistique, les quartiers créatifs apparaissent à la place des territoires en friche où des artistes ont pu travailler avant d’être délogés par ce que Richard Florida appelle les «classes créatives» (designers, modistes, communicants, graphistes, architectes, etc.). De là une transformation de la ville et de l’espace public au profit d’une approche modélisée du sensible, sous-tendue par des objectifs marchands. Il reste néanmoins des lieux –rares –où la question urbaine se travaille autrement.

L’exemple du Théâtre des Asphodèles et de Grrrnd Zero

Thierry Auzer, directeur du Théâtre des Asphodèles depuis sa fondation il y a 20 ans, est revenu sur l’histoire de la compagnie et des lieux qu’elle a investis. Depuis l’an 2000, elle a occupé à Lyon trois bâtiments avec l’ambition d’en faire à chaque fois des lieux de vie. À plusieurs reprises, il a rappelé combien il est difficile de faire comprendre que son but n’est pas de diriger un lieu mais de créer une aventure collective. Il a également insisté sur la fragilité de ces expériences menées soit dans le cadre de baux précaires, soit dans des bâtiments privés ou publics vendus ou repris au motif de problèmes financiers ou de plans de réaménagement urbain. Il a raconté les deux procès où il s’est engagé pour faire reconnaître l’intérêt public de sa démarche et comment, au final, il cherchait à consolider juridiquement le lieu où il se trouve actuellement ou celui qu’on lui propose d’occuper en 2014… La mise en place d’une Union d’Economie Sociale et Solidaire (UESS) est en projet. Ce statut permettrait qu’un tel espace soit géré par l’ensemble des structures et des personnes qui en seraient parties prenantes, un moyen selon lui «de proposer le théâtre à tout un quartier». Ce statut entérinerait le caractère collectif du lieu et imposerait par ailleurs qu’il soit transmis à un collectif. À ce sujet, Thierry Auzer a évoqué la notion de déclassement qui permet à l’État ou à une collectivité, en cas de désaffectation d’un bâtiment public, de le vendre à un privé (particulier ou entreprise). Et de préciser que cette procédure interdit sa réutilisation en tant que lieu public, preuve s’il en faut, que le domaine public se réduit en ville.

Grrrnd Zero est un autre abonné des espaces précaires. Ce collectif apparu dans le 7earrondissement lyonnais en 2005 a d’abord organisé des concerts de musique expérimentale avant d’élargir ses activités à la gestion de lieux de répétition. Tous bénévoles, sans représentant fixe, les membres de Grrrnd Zeroont privilégié la technique du squat pour s’imposer auprès de la Ville avec laquelle ils entretiennent des relations tendues. Sous le coup d’une procédure d’expulsion au moment de cet atelier, Grrrnd Zero bénéficiait d’une nouvelle tolérance temporaire de la mairie qui permet à l’association d’occuper depuis 2006 un bâtiment ne respectant pas les normes de sécurité et d’y organiser illégalement une centaine de concerts par an!

Engagements publics et modes d’action

Quoiqu’elles aient en commun une précarité durable et le refus d’abandonner l’art et la culture au seul domaine marchand, ces deux expériences témoignent d’un rapport au lieu et à l’espace public radicalement différents. Là où Thierry Auzer tente d’instituer un lieu de vie à travers un projet citoyen, ancré sur le territoire et viable économiquement, Florian Michel évoque une action marquée par l’urgence et le souci d’un résultat immédiat. Dans cette différence d’attitude, certains ont vu une affaire de générations. Ainsi, Pierre Gonzales explique que les membres de Grrrnd Zero, contrairement à leurs aînés, n’attendent pas les transformations culturelles promises depuis longtemps mais se débrouillent avec la situation actuelle, comme ils le peuvent. D’où le caractère improvisé de leur action et un manque apparent de réflexion. En réalité, Grrrnd Zero travaille la question publique à partir du seul engagement de ses membres, ce qui les apparente aux yeux de certains à des «libéraux». L’absence de salarié au sein de l’association témoigne d’une démarche fondée sur un activisme anonyme et sur le refus de toute personnalisation de la structure. En ce sens, Grrrnd Zero résout le problème auquel Thierry Auzer est confronté, sa difficulté à faire entendre la dimension collective d’un projet qu’il paraît seul à incarner. En revanche, Florian Michel reconnaît que des débats existent au sein de Grrrnd Zero du fait de la longévité de l’association. Au bout de 8 ans, elle a pris une envergure qu’on peut difficilement réduire à l’engagement de ses membres, lesquels continuent de se succéder bénévolement d’année en année. Grrrnd Zero existe-t-elle au-delà des individus qui la font vivre aujourd’hui?La notion de projet a par ailleurs été largement questionnée, comme symptôme d’un environnement qui délaisse l’action au profit de l’écriture de l’action, c’est-à-dire de sa formalisation. Le projet tel qu’il est entendu et attendu de la part des acteurs culturels impose qu’ils définissent, encadrent et d’une certaine manière garantissent les actions qu’ils entreprennent. Derrière la notion de projet se loge celle de responsabilité, en particulier de celui ou de celle qui le porte, un individu en l’occurrence… Faut-il y voir un moyen de réduire la portée collective d’une action, sa reconnaissance en tant que telle et finalement sa possibilité? Plusieurs participants partageaient ce point de vue, en s’appuyant sur un autre exemple lyonnais, celui de l’ancienne friche RVI, dont une partie des membres, ayant refusé la logique du projet imposée par la Ville, n’a pas été relogée. Il existe un paradigme, dominant aujourd’hui, du projet artistique et culturel quiexclut ceux qui ne partagent pas ce critère opérationnel et de sélection. Les ambivalences du lieuQu’ils refusent de s’enfermer dans un projet défini ou qu’ils défendent leur inscription physique dans l’espace public, Grrrnd Zeroet Thierry Auzer souffrent autant d’un défaut que d’un excès de visibilité. Le lieu physique apparaît en effet comme un outil pour travailler dans l’espace public mais aussi comme un modèle réduit (voire réducteur) de l’espace public. À ce sujet, Pierre Gonzales rappelait que les membres de Grrrnd Zero, s’ils ne se préoccupent pas directement de problématiques urbanistiques, agissent sur l’espace urbain par le biais des affiches très caractéristiques qu’ils collent partout dans le 7earrondissement de Lyon, au point d’en transformer l’aspect et d’en questionner l’usage. Dans ce sens, Jules Desgoutte insistait auprès des participants de cet atelier pour qu’ils réfléchissent à une topologie de leurs lieux, c’est-à-dire aux endroits symboliques qu’ils investissent. Parmi les rares personnes à avoir tenté l’exercice ce jour-là, Régis Hébette a insisté sur l’importance du lieu physique pour s’imposer dans l’espace public. Il a ainsi rappelé que «les collectivités aiment beaucoup que ces démarches artistiques et culturelles soient nomades». Car elles sont plus difficiles à reconnaître et, le cas échéant, plus faciles à délaisser. Reste que ces lieux ont tendance à disparaître, à l’instar de tous les espaces publics non-marchands. Prenant pour exemple le sort du mouvement Occupy Wall Street, Jules Desgoutte s’est interrogé sur la pertinence d’une occupation de l’espace public qui ne soit pas assortie d’une déconstruction de la notion de lieu. «C’est l’ensemble des trajets pour aller chercher l’eau qui construit la place de la fontaine, pas la place qui rend possible le fait que les gens aillent chercher de l’eau.»

Ville créative et reconfiguration de l’espace public

Pour aider à cette déconstruction du lieu pris dans la ville, Emilie Da Lage a proposé une analyse du contexte urbain contemporain sous l’angle de la ville créative. Le concept d’industries créatives a pris une ampleur nouvelle au moment du New Labour de Tony Blair, lequel, au milieu des années 1990, l’a imposé comme nouveau modèle de développement économique. Il s’agissait de remplacer les emplois de l’industrie primaire (dévastée dans les villes anglaises) par les emplois de secteurs dits créatifs (la mode, le design, les jeux vidéo, etc.). Ce modèle de développement s’est territorialisé assez vite par le biais de quartiers créatifs imaginés en lieu et place des anciens quartiers industriels désaffectés. Tandis que les zones en friche étaient historiquement fermées à la population, ces nouveaux quartiers ont misé sur l’ouverture et la transparence, tout en bénéficiant d’un statut d’exception à la manière des zones franches. En quelques années, ces quartiers créatifs se sont multipliés en Angleterre puis dans d’autres pays européens, mais aussi en Australie, au Canada et aujourd’hui dans certaines villes d’Asie du Sud-est.

Emilie Da Lage a listé plusieurs caractéristiques partagées par l’ensemble de ces quartiers, tous conçus d’après un cahier des charges strict et fortement marqué par une vision économique ultra-libérale. Leur gestion est généralement confiée à des Sociétés d’Economie Mixte (SEM) alimentées par des capitaux publics autant que privés; leur histoire singulière est évacuée au moyen d’un récit-maître présentant la transformation des villes sur un mode sensible et désirable; le style de vie censé s’y épanouir est promu comme une norme de bien-être enviable par l’ensemble de la société, et se caractérise par une grande attention accordée aux pratiques artistiques et culturelles envisagées comme moyens d’expression de la créativité des individus ; enfin, dans le souci de diffuser largement le mode de vie associé à ces quartiers et aux employés créatifs qui les habitent et/ou les animent, des agences de communication outdoor spectacularisent et véhiculent une image déréalisante de ces quartiers qui finit par s’étendre à l’ensemble de la ville. Brossée à grand trait, cette description (où chacun des participants à cet atelier aura reconnu un ou plusieurs quartiers de sa propre ville…) visait à montrer l’imbrication d’un modèle de développement économique et de développement urbain en passe de devenir la norme au sein des villes post-industrielles contemporaines.

Partages du pouvoir

Face à cette entreprise de normalisation de la ville, où les trajets ont tendance à être balisés (cf. le développement des applications pour smartphone) et les lieux publics de plus en plus destinés à des usages déterminés à l’avance, les expériences collectives portées par le Théâtre des Asphodèles, Grrrnd Zero et bien d’autres représentés lors de cet atelier de réflexion s’apparentent à des espaces de résistance. Thierry Auzer comme Régis Hébette (L’échangeur, Bagnolet) organisent cette résistance au nom du droit et de l’indépendance, le second expliquant comment il y parvient en mettant public et privé en tension (il se protège des aléas politiques en louant un bâtiment à un particulier, il se protège de son bailleur en bénéficiant de subventions publiques). Une telle stratégie le met en position de négociation (Thierry Auzer s’est qualifié quant à lui «d’artiste de la négociation» lors de cet atelier…), position qui lui octroie un certain pouvoir. D’autres ont invoqué le temps et le débat comme deux moyens de rendre visible/audible ce qui ne l’est pas habituellement dans l’espace urbain. Fred Ortuño a parlé du Couac à Toulouse et de la façon dont ce collectif était entré dans le jeu du débat public afin de décider des questions à poser au lieu de répondre à celles qu’on impose d’ordinaire aux artistes et aux acteurs culturels. À ce sujet, plusieurs personnes se sont élevées contre la logique des appels à projets qui impose un mode d’action et empêchent de travailler sur le long terme. Eric Chevance a rappelé par ailleurs que la mission première d’ARTfactories/Autre(s)pARTs était de prendre et porter une parole collective pour faire valoir des espaces-projets œuvrant dans les marges du domaine culturel. Pauline Armellini (Art Vif) a justifié dans ce sens lamise en place d’une enquête auprès des acteurs associatifs et culturels lyonnais pour faire entendre publiquement les besoins qu’ils ont en matière d’espaces de travail.

De telles prises d’initiatives et de parole continuent néanmoins à interroger la manière dont le pouvoir s’exerce, aussi bien au sein d’une société donnée qu’à l’intérieur des lieux ou des collectifs évoqués lors de cet atelier. Deux visions différentes se sont exprimées dans l’assemblée, visions qu’on pourrait rattacher aux démarches présentées en préambule par Thierry Auzer et par Florian Michel. L’une, au nom du collectif, défend le militantisme des individus et la capacité de certains à changer la société; l’autre, au nom des exigences de quelques individus, exerce une action diffuseà l’intérieur même des structures de la société. Aucune de ces deux approches n’est apparue comme la panacée en matière d’action artistique et culturelle dans l’espace public urbain. Car toutes les deux se trouvent prises dans un contexte (villes et industries créatives) où c’est finalement la notion même de liberté d’action qui est à reconsidérer. Et à ce titre, les acteurs culturels et artistiques ne pourront pas faire l’impasse sur la remise à plat de leurs idéaux et de leurs ambitions, sans quoi ils risqueront de faire le jeu de ce qu’ils dénoncent.

Sébastien Gazeau
Textes rédigés à partir des propos tenus à Lyon les 12 et 13 juin 2012 lors de l’atelier intitulé «Ville sensible, partage et fabrication: quels lieux ?»
Bahija Kibou (Af/Ap)Coordination des Ateliers de réflexions

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