Fabriques artistiques, lieux intermédiaires, espaces-projets, créations partagées… qui y a-t-il de commun entre ces expériences singulières menées en Languedoc-Roussillon ? Le 12 novembre 2013, à la Friche de Mimi, ARTfactories/Autre(s)pARTs encadrait un atelier de réflexion sur le sujet.
Tiré des performances présentées durant la matinée, le deuxième terme retenu par les architextes était “résistance”. Une quinzaine de personnes en ont débattu dans le cadre de l’atelier n°2.
Pour en savoir plus sur les enjeux et les contraintes de cette journée, voir part.1.
// Atelier n°2 //
Ce que résistance veut dire ?
Résistance. Le terme est marqué par l’Histoire, la Seconde Guerre mondiale, les réseaux organisés clandestinement au nom de la liberté. Devenu un nom propre, il demande à être précisé dès lors qu’il est utilisé dans un autre contexte. Ce à quoi s’est employée Claude Renard au début de cet atelier, établissant par la même occasion quelques liens avec la discussion qui se déroulait au même moment dans une autre salle de la Friche de Mimi à propos de « l’artiste citoyen ». Résister n’est pas attendre mais avancer, c’est une action citoyenne qui vise, selon elle, à « reprendre la main », c’est-à-dire à se donner les moyens d’exercer sa liberté, notamment de création.
À quoi résister ?
Ces préliminaires n’ont pas empêché certains participants de débattre d’autres connotations que ce mot pouvait avoir, ce qui a permis de mettre à jour une problématique déterminante pour la suite de la réflexion. Résistance peut en effet qualifier une action soudaine dont le caractère réactif révèlerait un manque d’anticipation. Est-il possible d’éviter les situations radicales auxquelles l’unique réponse serait de résister ? Est-il possible d’éviter les désaccords, voire les conflits, en repérant à l’avance ce qui posera problème ? À quel point faut-il être parvenu et pour quelles raisons entre-t-on en résistance ? Si chacun juge différemment des limites de l’acceptable, de nombreux participants voyaient dans l’interdiction quasi systématique d’accueillir du public dans leurs lieux un motif de colère. Pour des raisons de sécurité aux fondements douteux (selon certains, le refus d’accorder l’ERP — autorisation obligatoire pour les Etablissements Recevant du Public — , ou les moyens financiers de l’obtenir, camouflerait en réalité le refus de reconnaître à ces lieux leur caractère d’espaces publics alternatifs), les pouvoirs publics privent de moyens d’expression quelques initiatives citoyennes. C’était là un motif de résistance largement partagé dans l’assemblée.
Le détournement des mots
Mais la situation est parfois moins claire. Émilien Urbach, en évoquant rapidement la situation montpelliéraine, laquelle lui semble particulièrement consensuelle sur le terrain de la politique culturelle, insistait pour sa part sur la nécessité de déconstruire les mécanismes et les discours qui l’organisent. À la fois pour repérer ce qui démarque telle initiative de telle autre, et pouvoir en conséquence défendre l’une contre -ou à côté de-, l’autre. Les ZAT (Zones Artistiques Temporaires) sont selon lui un exemple typique d’utilisation de termes et de procédés qui s’apparentent à ceux employés par les représentants de certains espaces-projets réunis durant cette journée, mais qui s’en distinguent fondamentalement. Ce « recyclage » ne poserait pas problème s’il ne mettait en difficulté d’autres initiatives, toute différentes.
Pour une résistance heureuse
Exprimer et défendre sa différence est une ambition qui échoue régulièrement sur la définition de la norme ou sur l’invocation de l’intérêt général. Par rapport à quelle norme se juge-t-on différent ? En quoi sa propre singularité profite à tous ? Ces deux notions, complexes et sujettes à interprétation, n’ont pas été discutées durant cet atelier. Les participants ont préféré parler de leur sentiment d’être en marge, de s’y sentir confiné ou au contraire d’y trouver leur place. Parfois avec bonheur. Ainsi en témoignaient quelques personnes qui, en œuvrant de façon modeste, soit au sein d’un lieu soit au sein d’une compagnie, mais toujours en veillant à se maintenir dans des entreprises de petite taille pour en maîtriser l’évolution et l’organisation (« grandir sans grossir », dixit Bernard Lubat, cité par un participant), parviennent à trouver un équilibre entre marginalité et reconnaissance. Une comédienne expliquait pour sa part comment, en acceptant des cachets moins élevés, ce à quoi elle s’était toujours refusée au nom de certains principes, elle en était arrivée à jouer plus souvent et à retrouver du plaisir à cela !
Il a ainsi été question de « résistance heureuse » pour qualifier ces ruses, ces bricolages, ces changements de points de vue qui donnent ou redonnent sens à une pratique.
Construire et préserver des espaces de liberté
Préserver cette liberté d’invention est une entreprise difficile et épuisante. Elle nécessite une implication personnelle, un engagement de soi. Elle requiert également des espaces appropriés pour que chaque individu l’exerce à sa manière et parvienne à se réaliser dans la société. De nombreux participants ont expliqué que les espaces-projets qu’ils ont fondés ou auxquels ils prennent part sont des outils organisés dans ce but. C’est en cela qu’ils sont à la fois singuliers (ils dépendent des personnes qui les activent) et semblables (tous partagent ce même horizon). C’est en cela également qu’ils relèvent d’une forme de résistance. Résistance à l’institutionnalisation qui a tendance à substituer de grands principes aux personnes qui les font vivre. Résistance aux discours qui réduisent la portée et la complexité des aventures qui se déroulent dans ces espaces-projets et qui demandent à être dits, expliqués, mis en récit et régulièrement réinventés.
Synthèse réalisée par Sébastien Gazeau pour ARTfactories/Autre(s)pARTs