Il est peut-être temps de prendre en considération, ce qui est à l’œuvre depuis plus de trente ans, sur les territoires, dans les quartiers, en milieu rural, grâce aux pratiques des structures indépendantes. Que celles-ci rencontrent le public dans la rue, sous des chapiteaux, dans des théâtres itinérants, dans des lieux intermédiaires ou alternatifs.
Il me paraît plus juste de d’abord reconnaître comme essentiels les engagements de tous ceux qui travaillent dans ces endroits.
D’écouter ce qu’ils ont à dire sur leur conception du rôle des artistes, de l’action artistique, de la circulation des œuvres, sur les nouvelles formes d’éducation populaire, sur les droits culturels.
Il y a plus de trente ans que s’expérimentent d’autres façons de produire, d’agir et d’exister. Ces façons de faire ont été marginalisées, privées de moyens adaptés. Elles ont souvent été jugées médiocres ou insuffisantes parce que ne répondant que trop peu aux critères de l’excellence artistique défendus par les experts de l’institution et des équipements publics.
L’excellence artistique, selon les critères de reconnaissance institutionnels (sous entendu le respect de valeurs principalement conservatrices, et de « canons de beauté » officiels) a été le pire moyen d’anéantissement de la diversité et de l’initiative singulière… Et je n’évoque pas ici les règles économiques qui l’accompagnaient et faisaient aussi barrage et sélection.
Il y a un « autrement » à l’œuvre qui ouvre à d’autres formes de productions et d’actions, en rupture avec les grands principes de consommation et de rentabilité. Ce n’est pas un plus, comme on voudrait nous le faire croire (et auquel trop souvent on consent), qui viendrait s’ajouter au travail réalisé par les équipements publics, labellisés, petits ou grands. Un plus, qui viendrait en « accompagnement » de toute une organisation bien rodée qui s’applique à donner accès aux actions « essentielles » et aux œuvres « majeures ».
Il est temps que toutes ces initiatives, ce travail engagé par les structures indépendantes : compagnies, collectifs, lieux intermédiaires ou alternatifs prennent la place qui leur est due.
Nous ne devons plus accepter d’être en complémentarité du secteur institutionnel.
Ce qui se réalise dans cet ailleurs et cet autrement n’est pas seulement une autre voie, c’est aussi par son existence une force critique des formes de productions et d’actions culturelles en usage dans les équipements de l’institution.
Dans un contexte où on nous répète à longueur de temps qu’il n’y a plus d’argent pour la culture, où nous savons bien sûr que ce n’est pas vrai et que ce sont des choix qui sont fait, la globalisation du problème du financement amène depuis toujours à établir des priorités, à prioriser ce qui se trouve au sommet de la pyramide.
Cet état de fait, subordonne notre secteur. Nous sommes la variable d’ajustement.
« Il y a des moyens, nous en avons. Il n’y en a pas assez, nous devons comprendre qu’il faut préserver le secteur public ».
Ce qui veut dire qu’il est toujours nécessaire pour nous de nous mobiliser pour que le sommet de la pyramide ait des moyens suffisants.
Mais… !
– On ne peut pas critiquer le principe du ruissellement à un endroit et pas à un autre .
– On ne peut pas poser le problème d’une répartition équitable à un endroit et pas à un autre.
Nous devons réinterroger « le service public de la culture » l’interroger sur sa conception pyramidale, et réclamer l’établissement d’une horizontalité .
C’est qui la Culture ?
C’est quoi : « L’accès pour tous à la Culture » ? C’est accéder comment ? C’est accéder à quoi ? Aux productions artistiques stéréotypées et très souvent conservatrices des équipements publics ?
Leurs responsables se cachent derrière un discours consensuel condamnant le commerce de la distraction, pour mettre en avant tout un conservatisme patrimonial qui n’envisage la valeur que dans le répertoire, les « grandes » œuvres, les auteurs reconnus, les filiations incontournables et les héritages grandioses, ou dans le meilleur des cas une avant-garde de pré carré.
On pourrait considérer que c’est leur problème.
C’est vrai, en quoi cela nous concerne-t-il ?
Mais ils concentrent l’essentiel des moyens
L’Art est pour moi une occasion de désordre, d’en produire, de le contempler, d’en féliciter les auteurs, d’en découvrir les effets, d’en éprouver le bonheur.
Selon qui le « pratique » l’art n’a pas la même matière, la même forme, la même fonction. Cela peut aller d’une conformité navrante à une subversion enthousiasmante, d’une reproduction patrimoniale réactionnaire à un inconnu inexplicable, vertigineux et jubilatoire.
Il me semble important de sortir de cette généralité qui consiste à mettre « l’art en partage », mais bien de nommer ses formes, ses courants, ses pratiques, et de bien distinguer ce qu’on a envie de partager.
Nous devons changer de paradigme !
Mais c’est quoi changer de paradigme ?
En fait, nous sommes les nouvelles ZAD.
Nous devons mettre en œuvre d’autres formes d’organisations collectives.
Il nous faut considérer qu’il est possible de produire, de diffuser, de partager autrement, loin des scénarios standardisés des établissements artistiques chargés de la création et de la diffusion.
Il nous faut inventer et construire de nouvelles formes d’existences (que ce soit en terme d’organisation ou de production) en harmonie avec le territoire qu’elles occupent, une harmonie entre ceux qui se croisent, habitants et artistes .
Il s’agit de construire un territoire commun.
Nous devons développer les circuits courts.
Et comme il ne s’agit pas de rester dans une production locale uniquement destinée à la proximité, il est nécessaire de « réinventer » des réseaux de distribution.
Le principe du circuit court doit inclure la proximité , mais aussi l’ouverture à la circulation à travers un réseau coopératif.
Nous devons créer des coopératives de lieux intermédiaires qui favorisent et promotionnent les productions issues des circuits courts.
Méfions des modèles de Dé croissance, prônons la « Décréation ». (c’est à dire, la réduction des « productions » accrédité s au profit de formes sans exemples, inconnues jusqu’alors et travailler à en promouvoir la curiosité )
Il nous faut prendre exemple sur les AMAP.
Ne pas choisir !
Respecter la diversité.
Agir pour l’émergence des jeunes artistes ou compagnies.
Empêcher la disparition des plus fragiles, mais aussi des plus audacieux, des plus rebelles.
En fait, plutôt que mieux produire et mieux diffuser, permettre de « rater mieux » !
La multiplicité des formes proposées doit montrer qu’il est possible de construire hors des logiques sélectives basées essentiellement sur un modèle de bon goût et de rentabilité qui laisse peu de place aux conceptions alternatives, au bricolage, à la créativité, à la poésie et à l’inouï.
Il faut favoriser le dialogue entre usagers et productions , entre public et œuvre. Ré-impliquer le public, dans la co-construction de lieux intermédiaires, de ce qui s’y organise. Redonner le goût de l’inconnu et de sa curiosité.
Il faut arrêter d’imaginer et de fabriquer des spectacles pour des programmateurs qui ne proposent que des productions et actions formatés.
Le néolibéralisme est à l’œuvre partout, il n’y a aucune raison pour que le secteur culturel en soit épargné.
Le programmateur est soumis aux grandes valeurs néolibérales dont les plus remarquables dans notre secteur sont le mérite et sa rentabilité . Sinon pourquoi entendrions-nous aussi souvent des programmateurs nous dire qu’un spectacle n’est pas fait pour « leur public ».
Avec des principes pareils est reproduit ce qui est critiqué dans le monde du commerce « de libre échange » et amène à la circulation de « produits culturels » standardisés et uniformisés.
Ne reproduisons jamais les critères de sélection à l’œuvre dans le système du groupement d’achat. Car on y choisit d’abord le « meilleur » produit, c’est à dire le plus largement consommable.
L’AMAP est le contraire du groupement d’achat.
Rappelons-nous Avignon et autres grands festivals. Ces grandes foires ont des pratiques de marchés à la criée : « Si j’en prends 5, c’est quel prix ?, et si j’en prends 3 ?, et si on en prend 7 à trois, parce qu’on est petit, est-ce que ça nous reviendra moins cher, etc… »
Ceux qui restent sur le carreau dans ces foires et dont on ne fait aucun cas de la sensibilité ne correspondent simplement pas aux lois du marché.